Je suis jaloux des femmes… par Pierre Rabhi

J’ai perdu ma mère à 4 ans. Je ne conserve d’elle qu’un souvenir très flou. Je la vois dans
un halo, une sorte de clair-obscur, des bribes d’images sans contour ni réalité. Son visage m’échappe. Son sein, en revanche, m’apparaît encore clairement. Chez nous, dans le désert algérien, les enfants sont allaités longtemps. Lorsque je suis devenu orphelin, il y a eu beau-coup de sollicitude autour de moi. J’ai ce souvenir d’une femme qui se penche vers moi pour me consoler, la sensation de ses deux gros seins et du trouble qui m’a saisi. Pas un trouble érotique, non, mais la conscience d’avoir perdu ce qui était associé à cette poitrine : la protection, la chaleur maternelle. Ma fille, Sophie, me dit parfois que mes angoisses sont peut-être liées à cette perte. Ce qui est certain, c’est que la quête du féminin m’a toujours accompagné. Je ne parle pas seulement du désir charnel, mais du besoin de l’amitié, de l’affection des femmes.

Je crois à la nécessité d’en finir avec cette exaltation du masculin

Je crois à la nécessité d’en finir avec cette exaltation du masculin, entendu comme la volonté de puissance, l’agressivité, la domination. Je me sens profondément blessé par la subordination universelle de la femme. Combien d’hommes sont capables de s’assumer sans celles qu’ils jugent leurs inférieures ? Combien de filles n’ont pas accès à l’éducation ? Combien d’épouses sont encore opprimées ou battues ? Je suis déconcerté que tant de vies puissent naître de cette rencontre violente entre le masculin et le féminin. Les familles, les sociétés qui en résultent, ne peuvent que connaître un profond déséquilibre. Dans la nature, les deux sexes sont indispensables à la création. Le féminin l’est peut-être même davantage.
Lorsque j’étais éleveur, il y avait dans mon troupeau un bouc pour trente bêtes. Une fois qu’il avait fait son office, il pouvait disparaître sans que cela affecte nullement la vie des petits qui, en revanche, n’auraient pas survécu sans leur mère. J’ai toujours été un peu jaloux de cet état de fait. Comment, devant le miracle de la procréation, ne pas se sentir… un peu surnuméraire ? J’aurais tellement aimé vivre cette expérience fantastique de porter un enfant. C’est sans doute cette jalousie fondamentale qui engendre la violence chez tant d’hommes. Leur peur, fantasmée, de ne pas être indispensables. Même dans les pays les plus égalitaires, il nous faut corriger l’injustice et l’arbitraire, rééquilibrer le désir de conquête par l’instinct de protection de la vie. Je ne dis pas que l’un est masculin et l’autre féminin. Je crois à la présence de ces deux forces en chacun de nous. Je suis tout aussi révolté par ces discours qui mutilent les
hommes en leur interdisant de pleurer, que par ceux qui prétendent réduire la féminité à la seule maternité.
Il nous faut retrouver le sens de notre complémentarité. Entre nous, et en chacun de nous.

Massage pour soi

Tout comme boire et manger, le contact physique fait partie de nos besoins vitaux. Nous en ressentons d’ailleurs intuitivement l’importance : lorsque nous nous cognons quelque part, nous nous mettons automatiquement à frotter la zone douloureuse. Et lorsqu’une personne a du chagrin, nous la prenons spon-tanément dans nos bras. Le contact physique met en jeu des processus qui procurent des sensations agréables, et qui sont bénéfiques à notre santé de façon générale. La peau, organe le plus étendu du corps humain, se compose de millions de récep-teurs qui réagissent à chaque contact. Ces récepteurs envoient à leur tour des signaux à notre cerveau. S’il perçoit ce contact comme une sensation agréable, le cerveau libèrera alors des endorphines et des ocytocines, les hormones dites du bonheur. Résultat : un sentiment de félicité nous envahit. Mais ce n’est pas tout, ces sensations stimulent aussi le système immunitaire, la digestion et le métabolisme, encouragent la circulation sanguine et renforcent la respiration.

Un meilleur contact
Notre peau nous protège contre les influences extérieures et forme une barrière naturelle séparant notre univers intérieur du reste du monde. Elle nous permet d’être en contact avec nos propres sentiments et avec les autres. Une étude suédoise a démontré que le contact charnel était d’une importance essentielle pour le développement social des enfants. Dans de nombreuses écoles en Suède, une séance de massage hebdomadaire est intégrée au programme scolaire. Les enfants se massent à tour de rôle selon une technique donnée. Il a été plusieurs fois démontré que les enfants qui se massaient régulièrement communiquaient plus efficacement et se comportaient de manière plus détendue en groupe. Toute forme de harcèlement ou de violence physique ou morale a pratiquement disparu, car, comme le disait une jeune tête blonde : « On ne frappe pas les autres quand on les masse ! » Aux Pays-Bas, des écoles ont également introduit une séance de massage hebdomadaire à leur programme, avec les mêmes constats positifs.

« Lors d’un contact agréable, notre cerveau libère des hormones dites “du bonheur”. »

En Chine, une autre technique de massage est pratiquée : les enfants chinois se massent eux-mêmes le cuir chevelu avant le début des cours. Cela leur permettrait d’être plus apaisés et décuplerait leurs facultés d’apprentissage.

Équilibre intérieur
L’ayurvéda, médecine indienne ancestrale, recommande de commencer chaque journée par un massage matinal. Il s’agit ainsi de rétablir l’équilibre des deux principaux systèmes de notre organisme, le système nerveux et le système hormonal. Vous devrez certes vous lever un quart d’heure plus tôt que d’habitude, mais gardez à l’esprit que la récompense en vaudra assurément la peine : vous aurez une peau plus souple, des muscles plus vigoureux, une meilleure résistance et, surtout, une sensation exquise de quiétude et d’équilibre.

Ce massage matinal, appelé l’abhyanga, implique l’utilisation d’huile de sésame raffinée, que vous trouverez dans des boutiques d’alimentation naturelle. Versez-en quelques cuillères à soupe dans une tasse, et chauffez-la une minute ou deux afin qu’elle soit à la température du corps.

– Commencez par la tête. Versez une cuillère à soupe d’huile chaude sur le sommet de votre crâne et massez fermement votre cuir chevelu en veillant à mettre la main bien à plat. Parcourez toute la surface de votre crâne en effectuant des petits mouvements circulaires, un peu comme si vous vous faisiez un shampooing.
– Continuez par le visage et les oreilles, que vous massez avec moins de fermeté. N’oubliez pas les tempes et les petits os situés derrière les oreilles.
– Reprenez un peu d’huile avec les mains et massez-vous le cou et la nuque avec la paume et les doigts. Massez ensuite les bras : faites-le vigoureusement en effectuant des mouvements circulaires au niveau des coudes et des épaules et des mouvements plus étirés sur les parties allongées.
– Massez-vous ensuite le tronc. Soyez délicat : massez-vous la poitrine, le ventre et le bas-ventre en effectuant de grands mouvements circulaires, dans le sens des aiguilles d’une montre. Massez-vous aussi le sternum par des mouvements droits, de haut en bas. Reprenez un peu d’huile et massez-vous ensuite le dos et la colonne vertébrale en essayant d’aller le plus loin possible. Veillez toutefois à ne jamais forcer et évitez toute acrobatie périlleuse : contentez-vous d’aller là où vous pouvez, en effectuant les mouvements les plus simples possibles.
– Massez-vous ensuite plus fermement les jambes : les chevilles et les genoux avec des mouvements circulaires rapides, les parties plus allongées par des mouvements droits, toujours de haut en bas.
– Utilisez alors la dernière dose d’huile pour vos pieds. Massez-vous vigoureusement la plante des pieds avec les deux paumes, en effectuant des mouvements droits rapides de haut en bas. Terminez par les orteils, que vous massez avec l’extrémité des doigts.
– Une fois le massage effectué, restez un instant assis et laissez agir l’huile.
– Veillez à ne pas négliger le rinçage : rincez-vous délicatement à l’eau tiède avec un savon doux. Il est conseillé de laisser une fine pellicule d’huile sur la peau : elle en sera raffermie. L’huile tiendra aussi vos muscles au chaud pour le reste de la journée. Pour les cheveux, utilisez un shampooing doux classique. Minimassage
Si vous n’avez pas suffisamment de temps devant vous pour l’abhyanga intégral, optez pour la formule épurée. Massez-vous 1 à 2 min en privilégiant les parties essentielles : la tête et les pieds. Pour ce faire, deux cuillères à soupe d’huile de sésame devraient suffire.

Source : La Santé parfaite : guide complet pour le corps et l’esprit : la percée quantique de la médecine, Deepak Chopra, 1991, Altess.

Nous sommes ici pour tâtonner, explorer et apprendre… Entretien avec Brené Brown

Sa conférence TED sur le courage de l’imperfection, qu’elle s’apprêtait, soit dit en passant, à faire effacer, est l’une des plus regardées de tous les temps. Dans le cadre de son travail de chercheuse sociologue, Brené Brown décrypte des sentiments profondément humains tels que la honte, la vulnérabilité et le désir d’appartenance en mêlant les histoires d’autres personnes à la sienne, ce qui fait d’elle l’une des figures les plus appréciées de notre époque dans son domaine. Je lui demande si son travail, en plus d’une façon de rendre le monde meilleur, est aussi une méthode pour analyser sa propre vie et sa personnalité. « J’étudie des sujets qui éveillent ma curiosité, dit-elle avec un accent texan, certainement inconsciemment à partir d’un certain blocage. Je les choisis parce que je ne peux pas faire autrement. Mais mes découvertes sont, hélas, rarement celles que j’espère, et je dois donc me prendre en main [elle rit]. Le résultat me pousse à questionner ma vie et à apporter des changements. »

Happinez : N’est-il pas vrai que, bien souvent, les auteurs transmettent justement le thème qui leur a donné le plus de fil à retordre ?
Brené Brown : Vous avez peut-être raison. Ce qui est bénéfique, quand je dois moi-même me débattre avec l’un de ces thèmes, c’est que je peux dire honnêtement à mes lecteurs s’il est possible de changer véritablement quelque chose. Je ne peux enseigner que ce que j’ai moi-même appris. Si je n’avais pas parcouru moi-même le chemin, je n’aurais pas vu les panneaux indicateurs. Les maîtres à penser les plus dangereux que j’ai connus sont ceux qui ne font pas le travail eux-mêmes, qui en restent à la théorie dans leur propre vie. C’est à partir de ma propre expérience que j’explique qu’il est difficile d’agir chaque jour, chaque fois en fonction des leçons apprises. Ce ne sera probablement jamais parfait. C’est le processus de toute une vie.
Qu’est-ce que la réflexion sur notre propre vie peut nous apporter ? Platon a dit : « Une vie qui n’est pas examinée ne vaut pas la peine d’être vécue. » Je ne sais pas si je veux aller si loin, mais je crois que nous sommes ici pour tâtonner, explorer et apprendre. Être curieux de qui nous sommes, de ce qui nous motive, de ce dont nous avons peur, nous y aide. J’ai étudié la sociologie pendant quatorze ans, mais d’une certaine façon, tout le monde peut être un chercheur dans sa propre vie. Pour cela, il faut être prêts à buter sur nos imperfections. Quand les gens disent : « J’ai terminé, j’y suis, il n’y a que ce que vous voyez », cela me chagrine énormément.

Comment avez-vous découvert la recherche sociologique ?
J’ai un peu vagabondé ici et là avant de devenir finalement chercheuse. Pendant des années, j’ai commencé puis abandonné les cursus d’études les uns après les autres, et j’ai fait du stop en Europe. Ce n’est qu’à l’âge de vingt-sept ans que je me suis mise à étudier les sciences sociales à l’université du Texas. Je suis tombée amoureuse des recherches qualitatives, totalement différentes des recherches quantitatives. Les données n’y sont pas issues de questionnaires ou d’enquêtes, mais d’interviews personnelles. Il s’est avéré que j’adorais ça. Je suis vraisemblablement une sorte de “collectionneuse d’histoires”. Au cours de ces dix dernières années, j’en ai recueilli plus de dix mille, à partir de discussions de groupe et d’entretiens de recherche.

Et que faites-vous ensuite de ces données ?
Lorsque j’ai terminé mes interviews, je passe en mode analytique. À ce moment-là, mon époux préfère quitter la ville avec les enfants, car il dit que j’ai l’air bizarre quand j’arpente la maison en marmonnant, un stylo derrière l’oreille et un bloc-notes dans les mains. C’est un processus que j’adore. J’analyse les récits selon leurs thèmes et leurs schémas, qui m’aident à comprendre le phénomène qui est en jeu et à le théoriser. Dans mon cas, il est souvent question de honte et de peur.

Pourtant, il a fallu du temps pour que vous réalisiez que vous étiez vous-même profondément aux prises avec la honte et la peur…
Aussi étrange que ça puisse paraître, il m’a fallu très longtemps. Quand je fais des recherches, je me concentre entièrement sur la description de ce que j’ai entendu dans les histoires. Je ne réfléchis pas à ce qu’il en est dans mon propre cas. J’aime faire des investigations, mais pendant longtemps, je ne l’ai pas fait dans ma vie personnelle. Je préférais nier à quel point j’étais en proie à la honte. Tout a changé en 2006, alors que j’avais fait une liste de deux colonnes de ce qui aide et n’aide pas à mener une vie inspirée. Au-dessus de l’une de ces colonnes, il y avait “oui” et au-dessus de l’autre “non”. Sous le “oui”, il y avait des notions telles que l’amour-propre, le jeu, le repos, la confi ance, l’authenticité. Sous le “non” se trouvaient des notions comme le perfectionnisme, le refoulement des émotions, la comparaison avec les autres. Quand j’ai examiné les colonnes avec un peu de recul, j’ai sursauté. J’ai été obligée de m’asseoir : je vivais entièrement et complètement selon cette fichue colonne de “non”.

Retrouvez l’interview intégrale dans Happinez 48 – liberté

 

 

Amour, espoir et foi… avec Guy Corneau

Happinez : Qu’est-ce que l’amour pour vous  ?
Guy Corneau : L’amour, c’est le grand mouvement d’union qui nous habite dans notre besoin, notre élan de nous unir à quelqu’un, à quelque chose, à l’univers qui nous entoure. Je pense que l’énergie fondamentale de l’univers, c’est l’amour. C’est ce qui amène la cohésion de l’univers, la cohésion des êtres, ce qui crée des duos amoureux, des amitiés, ce qui fait que les gens sont attirés les uns par les autres. L’amour est lié à la création, à la joie ; les êtres humains, au fond, sont heureux quand ils ressentent des impressions d’unité profonde, par exemple quand nous nous sentons unis avec nos amis pendant un repas, ou unis avec notre amoureux ou notre amoureuse, ou même avec un paysage… Toutes ces expériences d’union sont très satisfaisantes pour l’être humain. Et pour moi, elles sont de l’ordre de l’amour. Notre élan le plus profond, c’est notre élan amoureux, c’est cette pulsion d’union.

Dans quoi avez-vous la foi ?
J’ai une pratique spirituelle importante. Ma foi est plus dans la somme de l’intelligence, de la conscience et de la connaissance universelle, mais je n’ai pas de croyance religieuse particulière. Je suis né dans un monde chrétien, mais je l’ai trouvé trop étroit pour moi. La spiritualité permet d’être en relation avec le monde, de savourer des états d’union intérieure avec tout ce qui nous entoure, autant avec notre univers qu’avec les plans de conscience et les plans plus subtils. La spiritualité, c’est cette aventure-là, de l’individu vers son universalité. Au fond, on est autant universel qu’individuel. Ce paradoxe d’être à la fois un et le tout m’intéresse beaucoup. Les bouddhistes le disent également : on est à la fois un et deux. La vérité fondamentale est qu’il faut accepter le paradoxe. Jung en parle également : entre le Moi et le Soi, notre vie est basée sur un paradoxe et il faut l’accepter. Notre Moi doit trouver sa voie vers le Soi. La réalisation du Soi, pour Jung, est une sensation profonde d’unité avec les éléments qui nous entourent. C’est cette quête de sensation d’union et d’unité profonde qui m’intéresse. C’est une aventure spirituelle. Nous ne sommes pas seulement des êtres physiques. Comme le dit la physique quantique, nous sommes à la fois des substances, des particules et des ondes. Pas uniquement des corps physiques, mais aussi des corps plus subtils, mentaux, émotionnels. Nous sommes habitués à penser les émotions et les pensées à l’intérieur de nous, alors qu’il est beaucoup plus intéressant de les penser comme des enveloppes, qu’on ne voit pas, mais qu’on peut ressentir. Pour moi, la spiritualité, c’est s’ouvrir à d’autres dimensions de soi-même.

Dans quoi portez-vous votre espoir ?
J’ai toujours un petit peu de crainte par rapport à l’espoir qui, dans le fond, est une sorte d’attente vaine. On remet tout à plus tard. Maintenant, si on parle dans un sens plus profond, je pense être quelqu’un de plutôt optimiste. Les êtres humains ont beaucoup de ressources créatrices. Nous vivons un temps où il y a tant de bouleversements, un effondrement tellement profond des valeurs que ça va donner la chance à des choses nouvelles de venir au monde. Alors, dans ce sens-là, j’ai de l’espoir. Je me dis que la déconstruction à laquelle on assiste, les guerres, les horreurs vont nous permettre de nous réveiller comme il faut et de dire «  nous allons faire un monde qui nous ressemble, qui vaut la peine de s’appeler un “monde humain” ou “humanité” ». C’est mon espoir à moi. J’ai hâte que les conditions du monde changent, et j’œuvre pour qu’elles changent. La seule façon de réagir, c’est d’agir avec notre création, de nous engager, de militer pour les causes qui nous semblent justes. J’ai plus foi en la création, en l’engagement, en l’action. C’est important, ça nous sort de l’impuissance. Aucune action n’est parfaite, mais cela permet de contribuer à un monde meilleur. L’indignation est importante parce qu’elle nous renseigne sur ce qui n’est pas juste, mais ensuite il faut proposer des choses qui le sont.

Propos recueillis par Élodie Plassat et Nathalie Cohen Photographie Tous droits réservés

L’énergie guérisseuse des Incas

Juan Nuñez Del Prado pose sa mesa sur ma tête et l’appuie fortement contre ma nuque. Ce balluchon d’objets chargés de différents pouvoirs utilisés par les prêtres incas, les paqos, pendant leurs initiations, est pesant. Je sens une forte énergie traverser mon corps, différente de celle de la pièce dans laquelle nous nous trouvons. Après Juan, c’est au tour d’Ivan, son fils, de poser sa mesa sur ma tête. Je ressens un profond silence et en même temps une force nouvelle. Je n’avais encore jamais vu de mesa et dans les jours qui viennent, je me familiariserai avec encore davantage d’objets, de mots et de notions inconnus. Même si les paroles de ces hommes sympathiques se rapprochent de sagesses qui me sont familières, elles sont un peu différentes, et c’est vivifiant.

Les “souveneurs”
Juan et Ivan sont des paqos, guérisseurs mystiques et passeurs d’énergie, que l’on appelle aussi au Pérou les “souveneurs”. La tradition inca n’étant pas écrite, les connaissances séculaires sont transmises par voie orale. Il est donc très important d’avoir une bonne mémoire. Car devenir paqo n’est pas si facile. Juan est à l’origine anthropologue, puis professeur à l’université de Cusco durant vingt-sept ans. Au cours de ses recherches, il découvrit que la tradition inca était toujours active et vivante dans divers endroits. Il se demanda qui détenait et diffusait ces connaissances orales, et c’est ainsi qu’il rencontra le paqo (décédé depuis) Don Benito Qori Waman. Il décida alors d’apprendre à ses côtés et suivit une formation longue de plusieurs années, faites d’épreuves, d’initiations, de transmission des connaissances et de cérémonies. Son fils Ivan tenait absolument à accompagner son père lorsqu’il rendait visite au maître. C’est ainsi que les connaissances ancestrales lui ont été enseignées dès le plus jeune âge. Après des études d’ingénieur technicien, il décida lui aussi de consacrer sa vie à la transmission de la tradition inca. Pendant leurs ateliers, Juan et Ivan apprennent à leurs élèves la base des exercices incas. Ils donnent des initiations, organisent des cérémonies communes et se rendent également avec des groupes dans divers endroits d’Europe où se trouve beaucoup de hucha, l’énergie lourde, comme l’ancien camp de concentration de Buchenwald, en Allemagne. En tant que premiers paqos occidentaux, ils veulent par leur démarche aider à élever le niveau d’énergie du monde afin d’accueillir la nouvelle ère. Une ère où l’humanité prendra conscience que chaque personne et chaque tradition méritent d’être respectées.

Vérité partagée
Les Incas ne prétendent pas détenir la vérité. « Chaque tradition détient une part de la vérité », explique Juan. Dieu est intelligent et il veut que les humains se connectent les uns aux autres. C’est pour cela qu’il a donné à chaque tradition un morceau du puzzle. Ensemble, toutes ces connaissances contiennent peut-être toute la vérité. » Selon lui, c’est uniquement une question de perspective. « Dans cette pièce, si je regarde par la fenêtre, j’ai vue sur la place, à l’extérieur. Mais vous, vous me regardez et vous voyez un mur blanc. Si je pivote d’un quart de tour, je vois les maisons derrière la fenêtre. C’est la même chose pour les traditions : chacune voit une partie de la vérité totale. » Car chaque personne porte une graine en elle. Juan l’appelle le muju, la graine inca. C’est la graine d’illumination qui est présente en nous dès notre naissance. « Dans un monde d’abondance, tout le monde a l’opportunité de s’épanouir complètement », poursuit Juan. « Le potentiel de cette graine est énorme. Toutes les qualités se trouvent déjà en vous, exactement comme une graine d’arbre contient en elle toutes les informations indispensables pour devenir à son tour un arbre. Tout ce dont la graine a besoin est de disposer de conditions naturelles favorables. Il est donc important que vous mettiez votre muju en contact avec les éléments adéquats. Lorsque vous le faites, le processus d’épanouissement ne peut plus s’arrêter. Un arbre ne fait pas de son mieux pour pousser. Cela va en quelque sorte de soi. »

Retrouvez l’article intégal dans Happinez 47 – bienveillance

L’art du réconfort

S’adapter à ses besoins
« Ne me console pas, ce n’est pas ce que je veux… Aujourd’hui, je veux être inconsolable… », chante l’artiste Louise Korthals. « J’ai écrit cette chanson après la mort soudaine de mon père, quand j’ai compris que parfois je ne voulais tout simplement pas être réconfortée : mon père, une personne irremplaçable dans ma vie, n’était plus là et il fallait que je m’habitue à cette idée. Lorsque je pleurais, mes proches essayaient désespérément de me consoler, parfois gênés par ma tristesse. C’était attendrissant, mais aussi très énervant, car ce n’était pas ce que je voulais. Je sentais que je devais vivre pleinement cette tristesse, pour pouvoir la transcender et un jour m’en sortir par mes propres moyens. »
Ce qui importe, c’est d’être là pour l’autre et de reconnaître sa douleur, explique la psychothérapeute Riekje Boswijk-Hummel. En s’adaptant à ses besoins, on donne à l’autre tout l’espace et toute l’attention nécessaires : son histoire, ses sentiments, ses besoins. Veut-il pleurer ? Parler ? Ou au contraire se taire ? A-t-il juste besoin d’une aide concrète ? En l’écoutant et en l’observant bien, on comprendra mieux ses attentes et de quelle façon lui apporter son soutien.

Proposer son aide
Wendy venait juste de vivre une séparation difficile avec son compagnon lorsqu’elle s’est fait une hernie qui l’a paralysée. « C’était très difficile pour une personne aussi indépendante que moi. J’ai été si touchée lorsque deux amies m’ont proposé de venir vivre chez moi pendant une semaine pour m’aider. Elles ont fait la cuisine et le ménage, et ont joué le rôle de mères pour moi : grâce à elles, je n’avais pas besoin de prendre la moindre décision ou de penser aux autres, ce qui ne m’était jamais arrivé. J’ai compris que je n’avais pas toujours besoin de tout faire moi-même, que je ne pouvais pas porter tout le poids du monde sur mes épaules. Mes deux amies m’ont dit qu’elles étaient heureuses de pouvoir enfin faire quelque chose pour moi. Je me suis sentie tellement soutenue. Quel bonheur ! »
On peut montrer son empathie à un ami dans le besoin en proposant une aide pratique : s’occuper des enfants, préparer une soupe ou tailler les haies de son jardin sont parfois de très bonnes façons de réconforter.

De la place pour le chagrin
Chacun vit son chagrin à sa façon : certains voudront raconter encore et encore ce qui leur est arrivé. Certains auront besoin de s’emporter et de pester, tandis que d’autres se renfermeront complètement sur eux-mêmes. Pour un proche, c’est très difficile d’être le témoin d’émotions telles que la tristesse ou le désespoir et on peut être tenté de chercher des solutions, d’“expédier ces émotions”. Riekje Boswijk-Hummel explique : « On essaie de pacifier, de trouver une solution médicale au problème (« Prends donc une pilule ! »), de dorloter (« Viens au sauna avec moi, ça te fera du bien ! ») ou de chercher des interprétations psychologiques ou ésotériques. » C’est ce qui est arrivé à Hilde : « Après que mon mari a succombé à une crise cardiaque, les parents des amis de mon fils sont venus me rendre visite, en m’offrant souvent un dessin ou une carte. C’était très émouvant. Une de mes amies m’a à peine laissée parler avant de me dire : “Qu’est-ce que cela pourrait bien vouloir dire, spirituellement parlant ? Quelle leçon pourrais-tu en tirer ?” J’étais consternée. Je ne m’attendais pas du tout à ça, et je trouvais insupportable qu’elle nie ma douleur et celle de mon fils en cherchant des leçons spirituelles dans cet affreux événement. Je me sentais trop fragile donc je n’ai rien dit, mais je ne l’ai plus jamais revue, alors qu’autrefois nous partions même camper ensemble. »
Lorsque vous n’êtes pas sûr de pouvoir répondre aux attentes d’un proche de la bonne façon, posez-lui simplement la question : « Veux-tu en parler ? Aimerais-tu que je te rende visite ? Veux-tu que je passe l’aspirateur ? »
Voilà une façon très simple de clarifier les choses, pour tous les deux.

La sécurité de l’immuable
Après la mort du mari de Maria, sa voisine a pris l’habitude de l’inviter à se promener tous les matins. Maria raconte : « Cette promenade quotidienne structurait ma journée entière. J’en avais vraiment besoin, surtout au début. Que la nuit ait été reposante ou non, je savais que je devais me lever, même si je n’en avais pas du tout envie. Nous faisions toujours la même promenade, pendant environ une demi-heure. Parfois nous discutions, parfois non. Je savais que je pouvais compter sur elle et me confier à elle si j’en éprouvais le besoin. » Marij a, elle aussi, compris l’importance d’un soutien inébranlable après le suicide inattendu de son frère : « Une collègue de travail, que je ne connaissais pas très bien, est venue me rendre visite très régulièrement, pendant deux ans. La première fois, elle m’a amené quelques jolis poèmes. Elle avait vécu une situation similaire, elle savait donc quelles questions poser, quelles remarques faire. J’ai pu parler souvent de mon frère, et c’était la seule chose que je voulais faire à l’époque : parler de lui, de sa vie, de la dernière année qu’il avait vécue, de sa mort, et des raisons qui l’avaient poussé au suicide. Pendant ce temps, elle tricotait et nous buvions du thé, ce qui rendait l’atmosphère très confortable et détendue. C’est d’ailleurs comme ça que nous en parlions : “Alors, tu viens tricoter à la maison cet après-midi ?” C’est surtout ça qui me faisait du bien, car son attention n’était pas centrée sur mon chagrin ou la nécessité de parler. Elle était simplement présente, et m’a consacré tout le temps dont j’avais besoin. Elle tricotait, mais elle était là pour moi, et je me sentais donc en sécurité et libre de dévoiler tout ce que je voulais : mes larmes, mes souvenirs et mon amour pour mon frère. »
Quand une personne subit une grande perte, on lui accorde beaucoup d’attention, mais cela s’estompe assez rapidement alors que le chagrin, lui, reste. C’est pourquoi ce sentiment de sécurité né dans la constance – d’un “après-midi tricot” par exemple – est si précieux.

L’amour de soi : antidote à l’autoapitoiement…

Le terme “autocompassion” en fera sûrement sourciller plus d’un, car on pourrait croire qu’il s’agit de rester assis passivement, de façon presque pathétique, et de ne rien faire du tout. Ou, pire, de s’emmurer dans l’égoïsme. Mais il n’en est rien, assurent Kristin et Christopher (Chris). La méthode qu’ils ont développée, baptisée Mindful Self-Compassion (MSC), entend nous aider à nous accepter, à développer notre force intérieure et à nous épanouir. Ils nous parlent de leur mission – rendre le monde plus heureux – et nous expliquent avec beaucoup de patience les différences subtiles entre l’autocompassion, la confiance en soi et l’estime de soi, ainsi que l’importance de la gentillesse, de la pleine conscience et du sentiment partagé d’humanité.

Happinez : Mindful self-compassion. Littéralement, l’autocompassion consciente. Selon vous, pourquoi celle-ci nous fait-elle tant défaut ?
Kristin : Parce que nous ne sommes pas gentils envers nous-mêmes et ne nous soutenons pas. Nous sommes bien plus soucieux des autres. Chaque fois que nous sommes méchants envers nous, notre voix intérieure nous tire un peu plus vers le bas. Et nous minons ainsi notre propre capacité à devenir heureux. Pourtant, réagir avec clémence face à l’échec est à la portée de tous. Imaginons qu’une amie vous appelle, en larmes, parce que son partenaire vient de la quitter. Lui diriez-vous : « Écoute, soyons honnêtes, tu es vieille et ennuyeuse, tu fais pitié et tu es barbante. Je ne comprends même pas que tu continues à essayer, car tu n’as vraisemblablement aucune chance de rencontrer quelqu’un qui t’aime vraiment. Tu ne le mérites pas. » Vous ne diriez bien sûr jamais cela à un être cher. Mais c’est le genre de conversation que l’on a typiquement avec soi-même en pareille situation. Au moins deux tiers des gens le font, et ce pourcentage est encore plus élevé chez les femmes. Tout le monde a besoin d’autocompassion pour affronter sa propre douleur, qu’elle soit plus ou moins grande. Heureusement, cela s’apprend.
Chris : L’autocompassion est également nécessaire si vous voulez rester gentil avec les autres sur le long terme.

Pourtant, de nombreuses personnes pensent que l’autocompassion signifie surtout s’apitoyer sur son propre sort, au risque de sombrer dans la passivité et la paresse.
Chris : Ce sont des préjugés. L’autocompassion est au contraire un antidote contre l’autoapitoiement. Quelqu’un qui s’apitoie ne cesse de dire “pauvre de moi”, mais quelqu’un qui exprime de l’autocompassion est nettement moins égocentrique : il ressent cette communion, le fait que tout le monde lutte, que nous faisons tous des erreurs. À l’inverse, le “j’ai échoué” d’une personne qui s’apitoie est fortement axé sur le “je”. L’autocompassion aide également à moins ruminer et à prendre du recul, comme si vous vous regardiez de l’extérieur. Vous pouvez ainsi observer la situation de façon plus objective. Vous prenez aussi votre souffrance de façon moins personnelle. Vous ne dites pas : « Je souffre, et je suis le seul », mais bien : « Oui, il y a de la souffrance. Je ne l’ai pas demandée, mais elle est là. » L’autocompassion n’est pas non plus égoïste. Elle nous rend au contraire plus attentifs aux autres, plus serviables.
Kristin : Avec la compassion, vous vous concentrez sur votre santé à long terme, et non pas sur la satisfaction de besoins immédiats. À l’image d’une mère compatissante qui ne laisse pas son enfant manger des bonbons à longueur de journée, mais qui lui donne des fruits et des légumes.

Retrouvez l’entretien dans Happinez 50 – confiance

Petit exercice…
Comment traiterais-je un ami ?

• Fermez les yeux et réfléchissez à la question suivante. Imaginez qu’un ami proche soit aux prises avec quelque chose qui le tourmente (parce qu’il a échoué, par exemple, ou parce qu’il se sent incompétent) et que vous vous sentiez plutôt bien. Quelle serait votre réaction typique face à cet ami ? Que lui diriez-vous ? Quel ton prendriez-vous ? Quelle serait votre attitude ? Votre comportement non verbal ? Notez le fruit de vos réflexions.

• Fermez de nouveau les yeux et réfléchissez à la question suivante. Souvenez-vous d’un moment où vous étiez vous-même tourmenté(e). Quelle était votre réaction typique à votre égard ? Que vous disiez-vous ? Quel ton preniez-vous ? etc. Écrivez le fruit de vos réflexions.

• Enfin, pensez aux différences entre la façon dont vous traitez vos bons amis pris dans la tourmente et la façon dont vous vous traitez vous-même. Identifiez-vous certains modèles ?

• Réflexion : qu’avez-vous pensé pendant cet exercice ? Beaucoup de gens sont choqués de voir à quel point ils se traitent mal en comparaison avec leurs amis. Si vous ressentez la même chose, sachez que vous n’êtes pas le/la seul(e). Notre culture ne nous encourage pas vraiment à faire preuve de gentillesse envers nous-mêmes. Nous devons donc nous entraîner consciemment pour modifier cette relation avec nous-mêmes.

D’autres exercices dans Happinez 50 – confiance

Tout est imparfait… L’art subtil de s’en foutre… Rencontre avec Mark Manson

Il annonce qu’il s’est réveillé il y a une demi-heure. Effectivement, Mark Manson a l’air fatigué. Il est installé devant son ordinateur portable, dans une pièce de son appartement new-yorkais où l’on ne distingue qu’un canapé, une chaise et deux tables. Son café vient d’une bouteille isotherme. Normalement, aujourd’hui, il devrait être en Europe, mais le coronavirus a contrarié ses plans. En 2016, il a publié L’Art subtil de s’en foutre : Un guide à contre-courant pour être soi-même (Eyrolles, 2017, pour la traduction française), se présentant alors comme le gourou du “développement personnel négatif”.
« Oui, autrement dit, celui qui dit ce que les gens ne veulent pas entendre, s’amuse-t-il. Le terme “développement personnel négatif” sonne bien, mais, en fait, il serait plus exact de parler de “développement personnel pessimiste”. J’interprète le mot “pessimiste” à la manière des philosophes : je ne considère pas que tout finira mal, mais simplement qu’en substance, tout est imparfait, et que nous devons faire avec. »

1. Les gens sont c*ns. Essayez de l’être un peu moins
Il ne s’agit pas d’un jugement moral, même si un tel jugement serait sans doute pertinent. Ce que j’entends par là, c’est que notre constitution psychologique est loin d’être parfaite. Nos capacités sont très médiocres, notamment notre aptitude à retenir l’information, à la traiter de manière rationnelle, et à l’analyser. Comme la partie émotionnelle de notre cerveau l’emporte sur sa partie rationnelle, nous nous cramponnons à des raisonnements et à des préjugés qui nous arrangent, mais qui, d’un point de vue objectif, ne correspondent pas nécessairement à la réalité. De même, nous avons fortement tendance à être convaincus du bien-fondé de nos sentiments. En conséquence, nous commettons continuellement des erreurs. Dès que nous en avons l’occasion, nous choisissons le raccourci le plus facile. Notre cerveau est ainsi fait : il cherche à économiser son énergie, autant que faire se peut. Le problème est qu’actuellement nos capacités de résistance sont devenues très faibles. Jamais auparavant dans le monde occidental les marchandises n’ont été si bon marché et si facilement accessibles. On pourrait naturellement s’en réjouir, mais il ne faut pas oublier que cela représente également une lourde charge. Nous devons prendre d’innombrables décisions superflues, auxquelles nos ancêtres n’avaient jamais été confrontés. Même s’il est très tentant de se préoccuper exclusivement de son bien-être personnel, pour toutes sortes de raisons, ce n’est pas souhaitable. Car, lorsque les sources de plaisir viennent à faire défaut, comme c’est le cas aujourd’hui, vous risquez d’être complètement désemparé si vous n’avez jamais appris à gérer l’adversité. Si la totalité de vos besoins personnels sont comblés en permanence, cela vous fragilisera, sans parler du fait que votre entourage vous trouvera moins agréable. Tout le monde gagne à ce que vos actions ne servent peut-être pas directement vos intérêts personnels, mais plutôt un dessein qui vous dépasse. Par exemple, à l’ère du coronavirus : prendre soin d’un proche malade, soutenir financièrement une personne dans le besoin. Peut-être que de telles actions ne sont pas particulièrement amusantes. Mais elles procurent néanmoins un sentiment de satisfaction, car elles sont porteuses de sens.

2. La douleur est inévitable ; la souffrance est facultative
La douleur fait partie intégrante de l’existence, il est impossible de l’éliminer définitivement. Une vie exempte de douleur, cela n’existe pas ! Cependant, nous sommes libres de choisir comment nous y réagissons. Pour commencer, il est utile de réaliser que la douleur peut apporter du bon : ainsi, les leçons que nous avons apprises dans la douleur nous marquent plus durablement que celles qui nous ont été servies sur un plateau d’argent. La croissance est indissociable de la douleur ; il est satisfaisant de se donner de la peine pour obtenir quelque chose. Une vie réussie ne consiste pas à éviter la douleur, mais plutôt à souffrir pour de bonnes raisons. Il est judicieux de déterminer ce qui compte réellement à vos yeux, et de lâcher prise sur le reste. On peut penser que c’est simple ; or, cela n’a jamais été aussi difficile.
J’ai eu maintes fois l’occasion de constater que les gens acceptent assez facilement cette idée. En revanche, lorsqu’ils sont confrontés à la douleur pour de bon, les choses se compliquent. Il existe de nombreux moyens d’éviter subtilement la douleur. Souvent, nous y recourons sans même en être conscients. Quand j’avais une vingtaine d’années, je me suis passionné pour le bouddhisme. J’ai donc appris que la douleur fait partie intégrante de l’existence, et j’ai accepté cet état de fait. Mais ce n’est qu’à la trentaine que j’ai pu ressentir réellement ce que cela signifiait. Quand j’avais entre 20 et 30 ans, je passais le plus clair de mon temps à fuir la douleur. Je voyageais beaucoup, je multipliais les relations éphémères, j’écumais les soirées. J’étais convaincu de mener la vie que je voulais, et qu’une telle vie me rendrait heureux. Mais au bout de quelque temps, j’ai réalisé que le bonheur n’était pas au rendez-vous. Une grande partie de ce que je fais aujourd’hui est la conséquence de mes désillusions d’alors : j’essayais d’éviter ma douleur, mais cela ne fonctionnait pas. Quand j’ai commencé à publier un blog à ce sujet, j’ai pu découvrir que je n’étais pas le seul à connaître la déception et la frustration d’avoir obtenu tout ce que j’avais pu désirer, sans me sentir heureux pour autant. Ce n’est que plus tard que j’ai compris la cause de mon désarroi : ma vie d’alors était dépourvue de sens. La solution consiste à accorder moins d’importance aux choses qui n’en valent pas la peine, et à se focaliser sur ce qui compte vraiment : par exemple, des relations humaines profondes et satisfaisantes.
Je ne vais pas vous donner ici de conseils généraux quant aux moyens d’appréhender la douleur, qui surviendra immanquablement dans votre vie. Nous avons chacun notre propre manière d’essayer d’y échapper, nous sommes tous confrontés à des douleurs que nous cherchons à éviter. Je pense cependant que l’introspection, la conscience de soi constituent un bon début.

Retrouvez l’intégralité de l’article dans Happinez 55 – oser

Rebelles silencieux… Lutter spirituellement contre les injustices

Il y a tant de choses qui pourraient aller mieux, être plus justes ou différentes. Pour améliorer le monde, nous sommes tous nécessaires. L’humanité est parfois comparée à un grand tapis cosmique dans lequel chaque individu est un nœud unique placé exactement au bon endroit, créant ainsi un magnifique motif. Nous avons besoin de militants, d’acteurs du changement, mais également de guérisseurs et d’unificateurs attentifs. Que vous vous sentiez concerné par les grandes questions sociales telles que le féminisme, le mouvement Black Lives Matter, le climat, ou que votre cœur batte pour une cause moins médiatisée, vous pouvez apporter votre pierre à l’édifice d’un monde plus beau, plus propre, plus apaisé. L’essentiel est de trouver une forme d’expression qui vous convienne et que vous serez en mesure de tenir sur le long terme.

« Quand on suit régulièrement l’actualité, il est difficile de ne pas se décourager. Quel est l’intérêt de vivre de manière durable, de payer ses impôts et de collecter des fonds pour des œuvres de bienfaisance si d’autres n’en ont rien à faire ? Si de telles pensées vous traversent parfois l’esprit, rappelez-vous que le cynisme n’est qu’un autre mot pour la paresse. »

Rutger Bregman dans Humanité. Une histoire optimiste (Seuil, 2020).

Que pouvez-vous faire ?
• Osez penser, faites des recherches, documentez-vous sur la cause dans laquelle vous souhaitez vous investir.
• Inventez, imaginez et fantasmez un monde meilleur. Si vous ne pouvez pas l’imaginer, il ne pourra pas non plus devenir réalité.
• Consommez consciemment : vous votez aussi avec votre portefeuille (et avec votre fourchette, et avec la banque à laquelle vous confiez votre argent).
• Investissez-vous, et amusez-vous ! Le plaisir vous aidera à tenir sur la durée.
• Faites un plan, n’improvisez pas mais organisez.
• Faites un effort. Le “clictivisme” (à coup de hashtags, likes et partages sur les réseaux sociaux) peut être un soutien mais n’est souvent pas suffisant en soi pour changer réellement quelque chose.
• Faites-le ensemble – unissez-vous, rejoignez une organisation existante.

Conseils issus de Practivisme, Eva Rovers (Prometheus, 2018)

Amour et résilience
Dans le documentaire How to let go of the world… and love all the things climate can’t change, le réalisateur américain Josh Fox s’intéresse à la vitesse à laquelle le climat change et à ce que nous pouvons encore faire. Au début, ses découvertes l’attristent et le découragent même. Mais il finit néanmoins son périple en dansant. « Dans la deuxième partie du film, je montre des choses que le climat ne peut pas changer : les droits de l’homme, l’innovation et la créativité, mais aussi le courage, la résilience, l’amour. Autant de choses dont nous aurons grandement besoin pour affronter les catastrophes climatiques et les grands bouleversements à venir. Nous aurons besoin de ces valeurs si nous voulons encore sauver quelque chose de notre civilisation. Et si nous n’y arrivons pas, nous en aurons encore plus besoin. » Retrouvez l’intégralité de l’interview sur YouTube.

 

Trois exercices quotidiens à faire chez soi
• J’essaie de réfléchir à chaque choix de consommation que je fais, chaque jour. Puis-je ne pas l’acheter ? Puis-je choisir l’option qui causera le moins de souffrance à la planète ?
• Chaque fois que je sors, je ramasse trois déchets que je trouve par terre et qui ne sont pas les miens. Bien sûr, ce n’est pas cela qui permettra de nettoyer les rues de New York. Mais cela m’oblige à m’arrêter un instant, à être conscient de la rue.
• Je dis toujours merci, pour chaque service, chaque transaction. Cela enlève de la valeur à l’argent, c’est l’interaction entre une personne et une autre qui compte.
Source : One City – A declaration of Interdependence du professeur bouddhiste Ethan Nichtern (Wisdom Publications, 2007), non traduit.

Retrouvez l’intégralité du dossier Rebelles silencieux dans Happinez 62 – découvrez la magie

L’art d’être malheureux

L’art de vivre, c’est l’art d’être malheureux

“Poussière de Lune” est le titre du septième épisode de la troisième saison de la série Netflix The Crown. Nous sommes en juillet 1969 et l’homme pose pour la première fois le pied sur la Lune : un événement magique retransmis devant plus de 500 millions de téléspectateurs du monde entier. Le prince Philip, époux de la reine d’Angleterre Élisabeth II, est totalement obsédé par l’épopée de ces trois courageux astronautes. Il est à un stade de sa vie dominée par la frustration, l’insatisfaction et l’impuissance. Âgé de 48 ans, qu’a-t-il réalisé ? Ces trois astronautes sont reçus au palais royal et, lors d’un entretien privé, le prince leur demande ce qu’ils ont ressenti exactement durant leur merveilleux voyage spatial. Que pensent-ils ? Le destin de l’homme est-il dans l’espace ? Les voyageurs lunaires Armstrong, Collins et Aldrin, qui, à sa grande déception, ne sont pas des demi-dieux, mais de simples mortels enrhumés, ne savent trop comment réagir face à cet homme visiblement en pleine crise de la quarantaine. Ils lui répondent en toute franchise qu’ils étaient tellement occupés à suivre toutes les procédures à bord et à cocher toutes les check-lists pendant le vol qu’ils n’ont pas vraiment eu de temps pour les intuitions spirituelles et les réflexions philosophiques. Après cette conversation embarrassante, les astronautes quittent la pièce et laissent le prince seul avec son désespoir. Quelques instants plus tard, on retrouve le trio spatial, impressionné par la splendeur du palais, qui court dans les couloirs et dévale les escaliers en sautant comme des enfants.
Pour Philip, cette rencontre est une déception, mais aussi une révélation et un moment de lucidité. Il prend tout à coup conscience que le bonheur et le sens de la vie ne résident pas dans les plus grands actes de bravoure ni dans une vie d’aventures. Pas plus que dans un voyage lunaire, mais alors dans quoi ? Si, comme le prince, vous ne croyez plus en un dieu, comment donner une direction à votre vie ?

Grandiose et exaltant
Quel est le sens de la vie ? Pourquoi avons-nous fait du bonheur une quête presque obsessionnelle ? Pourquoi tout doit-il être toujours grandiose et exaltant ? Ce sont précisément ces questions que le psychiatre et auteur belge Dirk De Wachter se pose. Et ses réponses sont en réalité très simples : ne visez pas le bonheur de manière compulsive, acceptez les difficultés de la vie, cherchez le sens de la vie dans le rapport avec l’autre. C’est un message qu’il prêche partout où il passe, aux journalistes, à la radio et à la télévision, dans des conférences, lors de festivals et dans les petites salles du pays. Un message qui, visiblement, touche une corde sensible chez ses auditeurs et ses lecteurs. En mars de l’année dernière paraissait son nouvel ouvrage, L’art d’être malheureux, aux éditions La Martinière. C’est un livre assez court, mais chaque page contient une sagesse que l’on aimerait pouvoir retenir ou écrire sur un Post-it à coller dans son agenda, à accrocher au-dessus de son lit ou à plaquer sur le frigo.

Assez bien
Dans ce livre au titre volontairement provocateur, Dirk De Wachter s’interroge sur la nature du bonheur et tente de comprendre pourquoi celui-ci est devenu notre but ultime. Il rappelle ainsi que le sentiment de bonheur est causé par une substance sécrétée dans le cerveau, l’endorphine, dont l’effet ne dure que peu de temps, même lorsque l’on reçoit la plus merveilleuse nouvelle du monde.
Le bonheur est donc, par définition, de courte durée, et certaines personnes sont plus enclines que d’autres à sécréter cette hormone.
Dirk De Wachter conclut également : « Le bonheur dépend en grande partie de nos attentes. Lorsque l’on n’obtient pas ce à quoi on s’attend, on est déçu. Et on a du mal à digérer les contrecoups, cela nous rend malheureux. Ce que nous voulons, c’est être heureux. Et un peu de bonheur ne suffit pas. » Ce que Dirk De Wachter veut nous dire, c’est que, à notre époque, tout le monde aspire au succès ultime, au plus grand bonheur et aux sensations les plus folles. Peut-être rêvez-vous d’un voyage aux îles Caïman ou de gravir l’Everest ou, comme le prince Philip, de vous envoler vers la Lune. N’oubliez pas qu’un jour, vous rentrerez à la maison et devrez gérer le quotidien. Acceptez l’idée, conseille-t-il donc, qu’une vie ordinaire est satisfaisante. Et qu’une telle vie ordinaire connaîtra inévitablement des périodes malheureuses et des moments de tristesse. Il est essentiel d’accepter cela et d’apprendre à “vivre avec”. « L’art de vivre, c’est l’art d’être malheureux. »

Retrouvez l’intégralité de l’article dans Happinez 54 – accueillir

Photo Hanuj Mathew // Unsplash