Article

En finir avec les poncifs et autres phrases toutes faites sur l’écoanxiété

Catégorie(s) : À découvrir, Art de vivre, Nature, Philosophie

En revendiquant d’une manière ou d’une autre mon écoanxiété, je me retrouve régulièrement confronté à une avalanche de phrases toutes faites, de remarques désagréables, voire blessantes, de poncifs plus ou moins méprisants qui me laissent fragilisé et sans voix. Discuter, oui. Critiquer, bien sûr. Mais halte à ces phrases toutes faites qui n’ont pas de sens, et qui n’apportent rien !

Exemples choisis de poncifs que j’entends régulièrement en tant qu’écoanxieux. Dans l’espoir que ceux de mes petits camarades qui se sentent isolés dans leurs ressentiments réalisent qu’ils ne sont pas seuls, et que les autres, les sceptiques, enrichissent la palette de leurs réactions orales.

Premier exemple : faut pas confondre crise environnementale, dérèglement climatique et éventualité d’un effondrement de nos sociétés, ça n’a rien à voir.

Si, bien au contraire.

Les trois sont connectés, profondément.

Certes, l’écoanxiété vient avant tout de la destruction de la nature, mais elle est le plus souvent liée à une forme d’inquiétude face au dérèglement climatique et à une peur d’une rupture de notre manière de vivre ensemble. Pour preuve, la plupart des solutions apportées à une de ces trois problématiques servent les deux autres.

Tout est lié, en fait, pour le pire et pour le meilleur, n’en doutons pas.

Second poncif, le célèbre chacun fait ce qu’il veut.

Dans l’absolu et dans un monde parfait, oui. Mais cette figure de proue de nos sociétés individualistes, libérales et consuméristes ne peut pas s’appliquer dans notre situation.

Je m’explique.

La passivité des uns et l’activisme des autres ne peuvent être renvoyés dos à dos au nom de la liberté individuelle, car face aux risques actuels, la réciprocité ne fonctionne pas. Imaginez que, nous alarmistes, ayons tort, que les catastrophistes de tous poils se trompent, et que tout se termine bien. Alors, nous devrons nous excuser d’avoir importuné notre entourage, parfois jusqu’à l’excès, pour rien. Mea culpa. Imaginez maintenant que nous soyons dans le vrai, que notre monde soit en péril, que tout se termine mal. Alors les climatosceptiques et les anti-collapses devront s’excuser d’avoir laissé la situation se dégrader sans réagir, peut-être même d’avoir participé à l’affaiblissement, voir à la disparition, de notre espèce.

Pas vraiment équilibré, n’est-il pas ?

Une forme d’inégalité avec laquelle je dois composer, et que je compense en m’évertuant à convaincre, encore et toujours, sans découragement ni agacement, que le danger encouru est trop grand pour fermer les yeux, et prendre le risque de se tromper.

Autre remarque qui revient de temps à autre : la fin du monde te fait peur, mais j’ai aussi l’impression qu’elle t’excite, qu’elle t’attire, que tu l’attends avec impatience.

Hey, les gars, vous êtes fous ?

En tout cas, moi, je ne le suis pas.

On peut espérer le changement, l’amélioration, voire attendre la révolution, mais pas la fin du monde ! Je ne suis ni un alarmiste morbide ni un chevalier de mauvais augure. Et encore moins un adepte convaincu et décomplexé du mouvement survivaliste impatient de passer enfin à l’action. Je suis un simple citoyen du monde, m’efforçant de rester informé et lucide, inquiet face aux perspectives de notre civilisation.

Et, je vous l’assure, je préfèrerai ne pas penser ce que je pense ! Ma vie serait plus simple, mes émotions plus apaisées. S’il y existe un domaine dans lequel je serai plus qu’heureux d’avoir tort, c’est bien celui-là ! J’espère de tout mon être que nous trouverons des solutions, que notre monde tiendra.

Bref, que tout ira pour le mieux.

À ce stade de la conversation, j’entends parfois : tu devrais arrêter de penser à tout ça, ça ira mieux, tu verras.

Chaque fois, j’espère qu’il s’agit d’une plaisanterie, mais la plupart du temps, je dois le prendre au premier degré. J’ai alors envie de répondre par cette question simple : si vous appreniez que votre compagnon (ou votre compagne) était victime d’une grave maladie, vous seriez capable, vous, de faire comme si vous ne le saviez pas ?

Non.

Vous pourriez accepter de vivre avec cette information, avec ce fardeau, mais vous ne parviendriez pas à en faire totalement abstraction. La réaction est la même avec la crise écologique, le dérèglement climatique ou encore l’éventualité d’un effondrement. Une fois qu’on y croit, qu’on est convaincu du risque, voir du danger, il n’est plus possible de faire machine arrière. Il n’y a plus d’échappatoire, il faut vivre avec.

Enfin, je termine par la plus classique des remarques, le célèbre : je pense que tu t’inquiètes pour rien.

Bien sûr. Depuis une dizaine d’années, plus de 98 % des publications scientifiques officielles clament que nous sommes en danger. Et comme l’explication la plus simple est presque toujours la meilleure, il vaut mieux croire dans la réalité du risque que dans une hypothétique conspiration visant à… à je ne sais pas trop quoi, en fait.

En conclusion, gardons notre patience et marchons derrière nos convictions, et luttons comme nous le pouvons contre cette forme agaçante d’obscurantisme écologique.

 

Pierre-Yves Touzot

 

Pierre-Yves Touzot est réalisateur, romancier et blogueur. Dans ses romans, il invite ses lecteurs à s’interroger sur leur rapport à l’environnement, à se reconnecter à la Nature, une étape indispensable pour lui vers la résolution de nos problèmes écologiques. Depuis plusieurs années, il construit à travers son blog une médiathèque de romans, d’essais, de bandes dessinées, de films, de documentaires, tous consacrés à cette thématique. Pour en savoir plus : www.ecopoetique.blogspot.com

Après le roman Presque libre, coup de cœur de la rédaction Happinez, publié aux éditions La Trace, Pierre-Yves a publié un nouveau roman en mai 2023, également coup de cœur de la rédaction, Mon dernier concert