Le sommeil est un phénomène miraculeux.
Et si jeûner était plus facile que vous ne pensiez ?
S’il éveille davantage l’intérêt qu’hier et n’est plus relégué à d’obscurs courants sectaires, le jeûne peut encore parfois nous laisser perplexe et l’on en vient assez rapidement à s’imaginer dans la peau de l’enfant privé de dessert ou du moine méditant sur une assiette vide. C’était aussi ce que pensait l’auteure, formatrice et thérapeute Claire Burel avant que sa curiosité prenne le dessus sur sa gourmandise et qu’elle décide de s’y risquer. Dans le journal aussi authentique que ludique Et si jeûner était plus facile que vous ne pensiez (éditions Le poche Lanore), elle fait le récit de son aventure et son verdict, partagé dans cette interview exclusive, est sans appel : le jeûne est loin d’être le fantasme famélique que l’on pourrait croire et la grande satisfaction qu’il apporte s’accompagne de considérables bienfaits.
Happinez : Quels sont les origines du jeûne ?
Claire Burel : Le jeûne a toujours existé, c’est un moyen naturel de remise en ordre physique et physiologique : ce n’est pas une ”grande invention”, et il n’y a pas plus simple, puisqu’il suffit de… ne pas manger ! Spontanément, de façon instinctive, les animaux, dans la nature, ne mangent pas lorsqu’ils sont malades, évitant ainsi une surcharge à leur organisme qui va en profiter pour se focaliser sur la guérison. Il y a fort à parier que l’être humain possède cette même capacité, bien que la société ait créé depuis longtemps d’autres repères que ceux de la nature, au détriment de cet automatisme : spontanément, un bébé malade ne mange pas. S’il est parfaitement admis qu’un bobo se répare tout seul, et qu’un os cassé se ressoudera, pourquoi a-t-on oublié que le corps sait aussi aller un peu plus loin dans les processus d’auto-santé, si on lui en donne les moyens ?
Chez les humains, l’alimentation n’a pas toujours été ce qu’elle représente aujourd’hui, et la facilité d’accès à l’alimentation que nous connaissons de notre côté du monde, qui n’est toujours pas universelle de nos jours, n’est pas non plus de tous temps ! On a tous entendu parler de la “fin des haricots”, cette période où les réserves alimentaires de l’hiver arrivaient à leur terme et où on allait attendre le printemps et la repousse pour se nourrir à nouveau. Comme par hasard, cette période coïncide avec le traditionnel “carême” avant Pâques. Carême, Ramadan, sont les traditions plus connues des restrictions alimentaires, mais toutes les religions, à toutes les époques, ont, elles aussi, fait une large place à des jeûnes, à l’ascétisme, pour des raisons naturelles et pour une purification du corps et de l’esprit. De là à dire que le jeûne a toujours fait partie d’une vie saine et naturelle, il n’y a qu’un pas…
Pouvez-vous en présenter les différents types ?
Il y a bien des façons de jeûner. La plus exigeante est sans doute le jeûne hygiéniste, tel que le Professeur Mérien, pionner du jeûne en France, le préconise. Il consiste à ne pas manger du tout et ne boire que de l’eau (jeûne hydrique), tout en restant au repos. Plus facile à vivre sur un moyen à long terme, le jeûne liquide consiste, sans rien manger de solide, à s’autoriser des boissons diverses (sans alcool !).
De nombreuses autres propositions, souvent à travers des stages type “jeûne et…”, associent le jeûne (hydrique ou liquide) à des activités diverses (randonnée, yoga, activités douces…), afin d’entretenir une forme d’énergie active. Ceci rend, pour leurs adeptes, le jeûne plus facile à vivre, et plus convivial. À noter qu’à notre époque, on voit fleurir des quantités de propositions variées, comme le “jeune intermittent“, ou “diète quotidienne”, qui consiste à ne rien avaler entre 17h et midi le lendemain. Cela ne peut qu’alléger le métabolisme, et faire du bien. D’autres vont favoriser une journée complète de jeûne hebdomadaire, qui a l’avantage de révéler la véritable capacité de jeûner, sur une seule journée certes, mais un premier pas réussi. Enfin, le “jeûne sec”, où on ne mange ni ne boit, ne peut en aucun cas dépasser deux à trois jours grand maximum, au cours d’un jeûne hydrique, du fait des risques majeurs qu’il fait subir aux reins, organe vital.
Je dis volontiers que, comme à la Caisse d’Épargne, plus on s’investit, plus il y a d’intérêt : accepter des contraintes du jeûne, pour plus de santé et bien-être en retour. Il est admis généralement que jeûner 3 jours renouvelle le système immunitaire, et que pour atteindre des bienfaits sensibles, il est bon de pousser jusqu’à 6 ou 8 jours… ou plus, sans être obligé de tenir 40 jours, même si ça reste possible et apporte des bénéfices différents. Tout cela, bien entendu, nécessite de bien suivre les réactions du corps, et ne s’improvise pas.
À votre avis, pourquoi la majorité des gens se méfient-ils de cette pratique ?
Le jeûne a beaucoup d’adeptes sur toute la planète. Il y a des cliniques de jeûne (Allemagne et Russie sont les plus connues) pour l’accompagnement de traitement de cancers, par exemple, ou de dépression – avec surveillance médicale. De plus en plus de centres ou de stages de jeûnes voient le jour, et on en parle de plus en plus… Dire que la “majorité” des gens se méfie du jeûne n’est-il pas un peu prompt ?
Si le jeûne a tant de détracteurs, cependant, c’est, me semble-t-il, pour deux raisons principales : D’abord, et malgré qu’il s’agisse à priori de la pratique de santé la plus documentée de l’histoire de la médecine, les rapports et autres études sont peu partagés, mal connus, et la formation des médecins eux-mêmes est davantage focalisée sur tout ce que la médecine peut faire activement pour les malades, plutôt que sur ce que le malade peut faire pour lui-même. La médecine intervient peu dans le domaine de l’alimentation individuelle, dont Hippocrate disait pourtant qu’elle devait être notre premier médicament : on voit aussi peu d’ordonnances pour des fruits et légumes, que pour un jeûne.
L’autre raison tient sans doute en ce besoin d’être tenu par la main, assisté, reconnu dans ses maux ou ses difficultés, et pris en charge en cas de problème : jeûner se fait “entre soi”, quand prendre des médicaments vaut reconnaissance sociale. Jeûner demande un effort de départ, ce que notre société ne valorise pas. Pire : le jeûne est souvent vu comme une privation, or la privation en général, et d’alimentation en particulier, fait écho à des situations dramatiques de l’Histoire et de la vie de chacun, – famine, guerre, ou punitions, et renvoie à de l’injustice, de la souffrance, de la peur… Notre époque aime une rassurante opulence. Ces raisons inconscientes d’ordre psychique et sociétal, sont puissantes. Il faut donc avoir une conscience claire de pourquoi on veut jeûner pour soi pour en apprécier la pratique.
Comment avez-vous vécu cette expérience ?
Avec curiosité et un certain émerveillement. J’étais informée sur le jeûne suffisamment pour me sentir en confiance, avec un mari naturopathe qui pourrait accompagner mes doutes le cas échéant. Donc totalement à l’aise. J’ai suivi ce que je ressentais au jour le jour, et les petits effets, comme les étourdissements et les étoiles au lever, les pensées obsessionnelles autour de l’idée de manger, et la découverte folle que penser à manger ne signifie pas avoir faim (dans un jeûne, la faim disparait très vite), la sensation de faiblesse inhérente au fait de ne pas s’alimenter, les six premiers jours, et curieusement, la sensation d’une énergie et d’un bien-être incroyables autour du quinzième jour, les petits désordres transitoires… et tant d’autres petits trucs. J’ai ri des pubs télé qui ne parlent que de manger ou de digérer, aimé le temps libre dégagé. J’ai observé avec boulimie comment c’est de ne pas manger. Parce que bien sûr, étant curieuse, je voulais vivre une expérience en grand. J’attendais de découvrir quand et comment la faim viendrait me faire signe – et ce fut au vingt-troisième jour, cette sensation dans la gorge, là où je ne l’attendais pas. La faim viscérale, impérieuse, pas une simple envie au creux de l’estomac. Étrange et intéressante découverte. J’ai aussi jeûné au milieu d’une fête de famille au repas sublime que j’accompagnais joyeusement d’un bol de bouillon, en me disant sans frustration que « c’est comme l’avant-première d’un film, et que j’attendrai la sortie en salle ». J’ai jeûné en préparant “quand même” les repas de mon époux, et le regardant manger, les yeux écarquillés dans une sensation incroyable de le voir accomplir quelque chose de sacré lorsqu’il portait sa fourchette à sa bouche : se nourrir pour vivre, wow ! J’ai touché du doigt la conscience de la Vie. Ce fut une expérience en tous points fabuleuse, pour la découverte de soi, tant humainement que spirituellement.
Quels ont été les bienfaits observés ?
Les bienfaits d’un jeûne sont propres à chacun, et varient selon ses attentes et son point de départ, selon la durée du jeûne et sa nature, etc. L’histoire du jeûne regorge d’exemples fabuleux de mieux-être physique, voire de guérisons improbables, qui dépassent mon expérience de curieuse en bonne santé ! Si des bénéfices ont bien accompagné mon expérience sur la durée, le premier fut, très vite, la prise de conscience de la différence entre envie de manger et besoin de manger. De quoi revoir totalement le rapport que nous entretenons avec la nourriture dans notre société ! Ma “peur du manque” irréaliste fut une seconde remise en cause : on supporte agréablement un ventre vide lors d’un jeûne (sensation sublime dont Bouddha a parlé !). Alors depuis, je peux décaler un repas, ou rester sur ma faim selon les circonstances ; cette espèce de “peur du manque” viscérale est remise à sa place, je peux gérer. Ce qui m’a amenée à une meilleure estime de moi : celle-ci est augmentée, comme un bonus, offert dès lors qu’on prend soin de soi en conscience, ou qu’on se dépasse, la nature est bien faite. Donc des atouts psychiques réels. D’autres gains vinrent dans des changements d’appréciation alimentaire : le sucré est écœurant, je n’en veux plus ! Et le grignotage est écarté, tant mieux. Je suis restée 3 mois sans sucre, jusqu’à un… gâteau d’anniversaire ! J’ai repris le sucré à ce moment-là, mais bien moins qu’avant, car j’ai gardé un ressenti de “trop sucré” permanent.
Une chose est certaine : le jeûne n’apprend pas à mieux manger, à choisir des aliments plus équilibrés ou de meilleure qualité. Et conserver les modifications du goût est un choix à faire : “chassez le naturel…”.
Après un jeûne pour se libérer des habitudes précédentes, le jeûneur qui souhaiterait améliorer son type d’alimentation, qualité ou quantité, devra soigner tout particulièrement “l’après”, qui s’avère un moment très important à cet égard, et la motivation sur la durée.
Que recommanderiez-vous à quelqu’un qui souhaite se lancer dans un jeûne ?
Pour ma part, j’ai jeûné au moment où je me sentais prête, motivée, et suffisamment informée. J’ai rédigé ce livre-journal pour offrir à d’autres une vision claire de ce qu’est un jeûne, et tout simplement découvrir “ce qui va se passer”, ce que la littérature sur le sujet ne proposait pas, étant axée davantage sur les bienfaits à en attendre et des pages d’exemples ou d’histoire. Quelle ne fut pas ma surprise lorsque de nombreuses personnes m’ayant lue, se sont mises à jeûner dans la foulée, qui trois jours, qui davantage, en confiance et joyeusement ! – telle cette dame qui s’est précipitée vers moi dans un salon : « Je vous ai vue au programme de conférences, alors je suis venue vous remercier. Vous êtes mon accompagnatrice de jeûne depuis dix jours », ou ces personnes qui m’adressent des emails, auxquels je réponds toujours pour les accompagner.
En guise de conseils brefs, ici, d’abord ne jeûner que si on est prêt. Manque de motivation ou peur sont des contre-indications fermes. Il y en a quelques autres, très peu, qui justifient de se renseigner d’abord sur sa situation en cas de doute. Quant à être prêt, cela se conçoit avec un accompagnant adéquat ou a minima une connaissance suffisante du sujet. On ne jeûne pas “sans filet”, surtout si on a des attentes coté santé. Par ailleurs, selon les personnes et leurs ressentis, choisir le mode de jeûne vers lequel se tourner pour s’y sentir bien : jeûne en centre spécialisé ? Avec un professionnel du jeûne ? En stage d’activités ? Seul, en famille, à la maison, en vacances ? Et même si on ne l’a pas abordé ici, veiller aussi soigneusement à la descente alimentaire qu’à la reprise en douceur… Enfin, se limiter à une durée agréable, et savoir s’arrêter, même plus tôt que prévu. Jeûner rétablissant une communication harmonieuse esprit/corps, il est bon de la respecter de bout en bout, et ne pas se contraindre. Le jeûne sera alors une expérience fabuleuse. Probablement plus facile que vous ne pensiez.
Propos recueillis par Aubry François
Pour en savoir plus : www.claireburel.com