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Et s’il suffisait de marcher pour aller mieux ?

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Médecin, psychiatre et licencié en philosophie, le Dr Éric Griez est aussi Professeur émérite à l’Université de Maastricht et ancien Directeur Fondateur de la Clinique de l’Anxiété au CHU de la même ville. Auteur de nombreux travaux scientifiques sur les mécanismes et le traitement de l’anxiété et de la dépression, il a récemment publié, aux éditions Eyrolles, le livre Guérir par la marche qui met en avant les grands bénéfices physiques et psychiques de cette activité accessible à tous.

Happinez : En tant que médecin et psychiatre, y-a-t-il un mal que vous voyez toucher plus particulièrement les personnes qui vous consultent ?

Dr Éric Griez : Les troubles dépressifs et anxieux. Rien de surprenant à cela, puisque d’une part, ça correspond à l’expertise spécifique de mon cabinet médical, et que d’autre part, dépression et anxiété au sens large sont les troubles mentaux les plus fréquents, allant jusqu’à toucher en Europe, chaque année, près d’un quart de la population, selon les chiffres de l’OMS.

On pourrait aussi donner un sens plus général au terme « mal » que vous utilisez et se poser la question « qu’est ce qui est le plus regrettable dans cet état de choses où tant de gens sont confrontés, tôt ou tard dans leur existence, à souffrir d’un épisode anxieux ou dépressif ? » Je dirais alors que ce « mal » est la relative méconnaissance du pouvoir de la prévention.  Prévenir vaut mieux que guérir dit le vieil adage. Or en matière de souffrance mentale, aussi bien dans le chef du grand public que dans celui des professionnels, on oublie trop souvent les vertus de la prévention. Ce n’est qu’une fois la souffrance installée qu’on se pose les questions et qu’on applique un traitement.  Même chose quand quelqu’un va mieux : on se satisfait de la « guérison » sans songer à s’équiper pour prévenir une récidive. La troisième partie de mon livre est toute entière consacrée au principe de la prévention. Il existe aujourd’hui des stratégies pour augmenter sa résilience, pour s’armer contre l’anxiété et la dépression avant qu’elles ne pourrissent votre vie, et l’activité physique, la marche en particulier, en est une. La vraie prévention, c’est une hygiène de vie, une attitude à acquérir devant l’existence, un style de vie à adopter. Le terme anglais de « lifestyle medicine » désigne cette approche nouvelle qui accorde désormais une grande attention aux facteurs de prévention, tant dans le domaine de la médecine physique que dans celui des troubles mentaux.

 

Happinez : Au 18ème siècle déjà, un philosophe comme Jean-Jacques Rousseau vantait dans ses œuvres le bonheur de la marche. Ces dernières années, quelles découvertes ont conduit cette fois la science à envisager sérieusement de prescrire cette activité aux patients plutôt que d’autres traitements comme les antidépresseurs ?

Dr Éric Griez : Ce sont des observations fortuites relativement récentes qui ont attiré l’attention des chercheurs sur les vertus de l’activité physique. Au début des années 2000, quelques grandes enquêtes épidémiologiques dans les pays nordiques notamment, ont montré que les gens qui pratiquaient régulièrement un sport ou une autre forme d’activité physique obtenaient des scores systématiquement moins élevés sur des échelles standardisées d’anxiété et de dépression. Inversement, on avait constaté que les individus anxieux et plus encore les personnes dépressives bougent peu : leur activité physique dans la vie quotidienne, mesurée par des appareils très précis, s’avère être réduite au minimum.  Ces constatations ont suggéré l’hypothèse que l’activité physique avait peut-être un effet protecteur bénéfique applicable au traitement de cas cliniques. Depuis, les études se sont succédé, et aujourd’hui il est raisonnablement établi que toute forme d’activité physique, pour peu qu’elle soit régulière et suffisante, a un pouvoir thérapeutique dans la dépression, et dans une mesure un peu moindre, dans beaucoup de formes d’anxiété.

Des travaux de laboratoire se sont attachés à expliquer les mécanismes sous-jacents. Trois grandes hypothèses émergent à l’heure actuelle.  La première est que l’activité physique amortit la réponse hormonale au stress : la montée d’adrénaline et de cortisol suite à une agression extérieure est atténuée. La seconde hypothèse est que l’exercice, pratiqué régulièrement a un effet antiinflammatoire ; or nous savons que certaines formes de dépression sont associées à un état inflammatoire chronique. La troisième explication est que l’activité physique stimule la sécrétion du facteur neurotrophique du cerveau (BDNF), substance chimique produite par le cerveau lui-même, et favorise la vitalité des cellules nerveuses.

Beaucoup de ces effets sont analogues à ceux des antidépresseurs, bien que certainement de moindre intensité. Il n’y a donc pas compétition, mais très probablement synergie entre les deux approches.

 

Happinez : Pourriez-vous nous donner trois exercices autour de la marche pour mettre en place une bonne hygiène de vie ? 

Dr Éric Griez : La marche est la forme d’activité physique la plus simple et la plus naturelle qui soit. Elle est à l’espèce humaine ce que la nage est au poisson et le vol à l’oiseau. Elle peut se pratiquer comme un sport (marche dite « sportive » au stade ou en randonnée, marche nordique etc.)

La forme que je préconise est la simple ambulation (mettre alternativement un pied devant l’autre dans la vie de tous les jours, qu’on soit à l’intérieur ou à l’extérieur). Pour retrouver cette habitude de bouger son corps, voici trois principes :

  • Porter en permanence un traqueur d’activité ou un podomètre.
  • Viser un minimum de 5000 pas par jour ; s’assurer d’avoir atteint environ la moitié de cet objectif à la mi-journée (ce qui compte c’est la régularité et la constance, pas les à-coups)
  • Ajouter le plus souvent possible (deux à trois fois par semaine) une marche formelle de 2000 pas au rythme de 100 pas par minute.

Un chapitre de mon livre est constitué d’une série de suggestions très concrètes pour stimuler l’imagination et soutenir l’effort des personnes qui débutent.

 

Propos recueillis par Aubry François

© Jonathan Pie/Unsplash