Le sommeil est un phénomène miraculeux.
Guérir quand c’est impossible… rencontre avec le neurologue Antoine Sénanque
Le neurologue et romancier Antoine Sénanque a toujours gardé une distance critique avec le monde médical, conscient des limites qui y règnent encore et porté vers une médecine autre dont les bienfaits inexplicables échappent encore à la pensée cartésienne. Participant le 14 septembre prochain à l’événement SE GUÉRIR (www.seguerir.fr), au Grand Rex de Paris, aux côtés de 11 autres intervenants prestigieux, il nous offre ici une interview passionnante aux frontières de la médecine occidentale, où s’apprivoisent les avancées de la recherche scientifique et les mystérieux pouvoirs de l’esprit humain.
Happinez : Pourquoi notre médecine, qui n’a jamais été aussi perfectionnée qu’aujourd’hui et dont vous avez été l’un des représentants, ne vous satisfait-elle plus ?
Antoine Sénanque : Parce qu’elle est fermée. J’ai exercé la neurologie pendant plus de trente ans. C’est une spécialité difficile qui vous confronte à des handicaps majeurs, résistant aux traitements qui se limitent souvent à la gestion des symptômes, à la partie “émergée” des troubles. En 2019, on ne guérit aucune grande maladie neurologique. On réduit les poussées de la sclérose en plaques, on atténue le retentissement de la maladie de Parkinson, on accompagne les patients atteints de maladies d’Alzheimer. La récupération des infarctus cérébraux ne dépend pas de nous. La maladie de Charcot a le même pronostic qu’au temps de sa description, au 19ème siècle. Il y a eu des progrès en neurologie interventionnelle, dans la prise en charge des accidents vasculaires, des tumeurs, des tremblements invalidants, mais les grandes maladies neurologiques continuent d’évoluer sans qu’on puisse les guérir. Longtemps spécialisé dans le suivi des maladies dégénératives, j’ai vécu la vie d’un médecin qui ne guérissait personne. Et j’ai fini par me demander si mes patients ne méritaient pas mieux qu’un rendez-vous fixé trois mois plus tard pour renouveler une ordonnance et que des conseils de patience avant les progrès scientifiques à venir.
J’ai donc essayé de regarder autour de la médecine classique et d’étudier les autres manières de soigner, sans à priori, à la découverte de voies de guérison que l’on n’apprend pas dans les facultés. Hippocrate, au 5ème siècle av. J.-C. avait donné un conseil que la médecine moderne – qui se réclame pourtant de sa rationalité – n’a pas suivi. Il écrivait : « Je vais définir ce qu’est selon moi la médecine. C’est délivrer les malades de leurs souffrances ou émousser la violence des maladies et ne pas traiter les malades qui sont vaincus par la maladie ». Les médecins grecs abandonnaient les malades qu’ils jugeaient incurables. Sans le cacher. La médecine était définie honnêtement comme un champ limité. Elle reconnaissait qu’elle ne pouvait pas tout guérir. Que proposait-on alors à ces malades qui sortaient du champ ? « Envoyez les incurables au temple » conseillait le médecin sans remèdes.
La médecine hippocratique laissait la spiritualité et ses chemins obscurs de guérison en dehors de son territoire, mais sans nier son existence ou sa nécessité, et sans esprit de concurrence. Les médecins grecs s’opposaient aux devins, pas aux sanctuaires ; à la magie, pas à la religion. Et c’est une idée phare de l’enseignement de cette première médecine rationnelle : ne pas prétendre qu’il n’y a plus de solution quand la science n’en trouve pas. Et ne pas fermer les portes du spirituel et du sacré. Pas besoin d’initiation pour les ouvrir, mais croire à la force de l’esprit sur le corps. Et oser (car c’est aussi une affaire de courage) prendre des chemins qui ne sont garantis par aucune autorité.
Ce sont ces voies spirituelles qu’il faut développer, non pas en les plaçant “au bout” d’une prise en charge médicale classique, qui n’aurait pas donné de résultats, non pas comme des recours aux échecs de la science, mais comme des voies associées. L’énergie spirituelle est une clé de guérison, elle devrait avoir sa place dans la prise en charge initiale de toutes les maladies. Elle est négligée et reste pour beaucoup de médecins une voie sombre et occulte. Les fantastiques progrès scientifiques qui nous attendent dans les décennies à venir ne pourront pas faire l’économie de la spiritualité. L’intelligence artificielle des ordinateurs de santé ne nous guérira pas sans l’intelligence spirituelle, qui nous est propre.
Happinez : Comment cette médecine officielle explique-t-elle les cas de guérison spontanée, qui sont une réalité ?
Antoine Sénanque : Les guérisons spontanées ou l’autoguérison sont des phénomènes reconnus par la science. Les études l’ont démontré, la guérison spontanée de maladies parfois gravissimes existe. En 1993, la publication d’une bibliographie très complète sur le sujet faisait le point (O’regan et Hirshberg). Cette méta-analyse, fruit de vingt années de recherche, retenait le chiffre de 1574 cas de rémission spontanée entre 1864 et 1992, dont plus de 70 % concernaient des cancers, et en particulier les mélanomes de l’adulte. Si les causes de ces guérisons restent obscures, les études ont identifié trois facteurs clés : l’immunité, l’environnement et… le mental.
De nombreux cas ont été associés à des modifications immunitaires, avec l’observation, dans le sang des personnes qui guérissent, d’une augmentation du nombre de lymphocytes Natural Killer(NK), clé de nos défenses, et d’anticorps produits contre les cellules cancéreuses. Ces modifications n’ont pas été retrouvées chez les autres malades. Une des raisons empêchant de guérir du cancer est que nos réactions de défense immunitaire sont trop faibles pour le repousser. Une explication possible serait que les cellules cancéreuses dérivant de cellules de l’organisme apparaissent pour nos défenses plus comme du “soi” que comme du “non soi”. Pas assez étrangères, en somme, pour provoquer une réaction de rejet suffisant. Pour la plupart d’entre nous… Dès le début du XXème siècle, certains médecins ont eu l’idée de stimuler l’immunité de malades atteints de cancer, parfois par des moyens radicaux. En injectant, par exemple, des germes très virulents suivant un principe inattendu : “infecter pour guérir”. La stimulation du système immunitaire, qu’elle qu’en soit la cause, aurait pour effet secondaire de le rendre plus efficace contre les cellules cancéreuses. Les germes introduits sont attaqués les premiers, mais les cellules immunitaires, dopées, ne s’en contentent pas. Fortes d’une nouvelle énergie, elles vont chercher tous les adversaires cachés, et en particulier les tumeurs. À vrai dire, beaucoup de patients mouraient à la suite de cette septicémie provoquée, mais parmi les survivants, on constatait des guérisons complètes de cancer. C’est dans cette logique que l’on a utilisé le BCG comme arme anti-cancer, par exemple dans le cadre des tumeurs de vessie. Une injection de BCG dans cet organe peut stimuler une réaction immunitaire pouvant aider à détruire la tumeur. Dans les années 70, on a rapporté le cas d’une régression spontanée d’un lymphome chez un jeune homme infecté par le virus de la rougeole. En 2013, une américaine touchée par un myélome a été traitée avec succès par une injection du virus de la rougeole.
Des miracles quotidiens se produisent peut-être à notre insu, dans le secret de notre organisme. Des phénomènes masqués qui tuent régulièrement les cancers débutants. Le pic fébrile qui nous fatigue nous sauve peut-être. Faudra-t-il prier pour que la fièvre vienne ? Ou se réconcilier avec les affections bénignes qui nous protègent ?
À côté de l’immunité, la dimension mentale est reconnue comme un facteur clé de l’autoguérison. Méditation, prière, yoga, hypnose, appartenance à un groupe de soutien, toutes ces pratiques ont été associées à un allongement de la durée de vie des patients et permettraient notamment de maitriser le stress responsable d’une diminution de nos défenses immunitaires. Des expériences ont montré que le nombre de lymphocytes NK était augmenté et les défenses améliorées après une période de suggestion positive comportant un discours rassurant et optimiste. Le découragement avait l’effet inverse. “Stress”, ”suggestion positive”, tous ces mots ont une traduction biologique, révélant la force des influences spirituelles sur l’évolution de nos maladies. Une nouvelle discipline a fait son apparition : la psycho-neuro-immunologie (PNI), qui étudie les relations entre les systèmes immunitaires, nerveux et endocrinien. Ces systèmes sont reliés et échangent des informations. Le développement de la PNI s’inscrit dans le cadre d’une médecine considérée comme nouvelle, mais qui a des racines anciennes : la médecine holistique (du grec holos : totalité), qui envisage la maladie comme un écosystème et non comme un ensemble d’organes pouvant être traités séparément. Quelle était la première question que posait Hippocrate, dans l’Athènes de Périclès, quand vous alliez le consulter pour une maladie que personne n’arrivait à guérir ? « Où avez-vous mal ? Quels sont vos symptômes ? » Non. La première question d’Hippocrate était : « Qui êtes-vous ? ».
Happinez : Où se cachent nos capacités d’auto-guérison, et peut-on apprendre à les maîtriser ?
Antoine Sénanque : Émile Coué, le père de la célèbre méthode, déclarait que nous avions en nous « une pharmacie intérieure » capable de guérir toutes nos maladies. Mais nous avons perdu les clés de nous-mêmes et nous ne savons pas où les chercher. Et cette ignorance nous donne le sentiment d’être limités, fragiles, vulnérables, alors que nous avons en nous des capacités d’autoguérison infinies. Nous ne sommes pas incurables, mais aveugles. On traverse les maladies en tâtonnant, les mains devant nous, dans l’obscurité, butant à chaque obstacle, et la science ne nous rendra qu’une vue partielle. C’est dans nos profondeurs intimes que les clartés se trouvent, là où l’intuition nous guide.
Il n’est pas question de rejeter les acquis et les promesses thérapeutiques de la médecine classique mais d’y associer des potentialités non explorées.
La réhabilitation du mental comme force de guérison nécessite une validation scientifique et c’est chose faite, les preuves de l’effet biologique de la pensée sur notre organisme sont établies. On a prouvé, par exemple, que l’effet placebo, initialement purement psychique, prenait corps en nous, ses effets thérapeutiques sur la douleur se traduisent par d’objectives modifications chimiques identiques à celles déclenchées par la morphine.
La science d’aujourd’hui ne sait pas comment activer nos capacités d’autoguérison. Et dans le cadre des voies alternatives, le mystère est également opaque. Comment les guérisseurs guérissent-ils ? Les magnétiseurs parlent souvent d’une force qui se transmet et se perçoivent comme des canaux permettant de conduire une énergie thérapeutique, mais en reconnaissent le mystère. Deux voies de guérison explorées par la science vont s’élargir dans les années proches : les thérapies de régénération utilisant les cellules souches et l’épigénétique.
On a pu démontrer que le programme génétique commandant les premières étapes de la régénération d’un membre amphibien (comme chez la salamandre qui reconstitue sa patte amputée) était conservé chez les mammifères, et par conséquent chez l’homme. Nos capacités régénératrices n’ont donc pas disparu. Elles sont simplement silencieuses, inactivées au cœur de notre ADN. Les cellules souches sont la clé du renouvellement des tissus. Elles existent en nous. Grâce à celles de la moelle osseuse, nous renouvelons nos globules rouges, celles de notre peau permettent la cicatrisation, la plupart de nos structures en contiennent et pourtant nous vieillissons, nos membres ne repoussent pas et notre cerveau involue. En introduisant du matériel génétique, les scientifiques sont arrivés à réactiver les gènes permettant de transformer n’importe quelle cellule de notre corps en cellule souche. Si cette transformation est possible en laboratoire par une simple manipulation, est-il absurde de penser qu’il serait hors du pouvoir de l’esprit de réaliser cette transformation de l’intérieur ? Si l’évolution a gardé en mémoire le mécanisme de la régénération, endormi mais vivant au cœur de chacune de nos cellules, ce n’est certainement pas dans l’attente d’une technique de transfert génétique appartenant au XXIème siècle. La science de la reconstitution ne crée pas des mécanismes inconnus, elle réveille des systèmes anciens qui sont en nous. Si elle en est capable, l’esprit l’est encore plus. La cellule souche est aussi une cellule spirituelle. L’épigénétique est le système de contrôle de nos gènes. On peut concevoir notre code génétique comme une sorte de plafonnier à ampoules multiples figurant chacun de nos gènes. L’épigénétique correspond aux interrupteurs qui allument ou éteignent les ampoules. On a prouvé que l’environnement, l’alimentation, le stress avaient le pouvoir d’activer ou d’inhiber l’expression de certains gènes. On parle beaucoup moins des modifications épigénétiques induites par les influences spirituelles comme l’espérance, la croyance. Mais si la nourriture ou l’angoisse ont le pouvoir d’interagir avec nos commandes génétiques jusqu’à entraîner des troubles de la régulation de nos cellules et s’avérer capables de déclencher des processus de cancérisation, comment ne pas attendre davantage de l’influence des forces spirituelles positives sur nous-même ? C’est dans la réunion entre médecine classique et médecine spirituelle que nos capacités d’autoguérison pourront être développées.
S’il n’y pas aujourd’hui de “mode d’emploi” pour nos capacités d’autoguérison, il y a peut-être un terrain à offrir pour faciliter leur venue, un lieu d’accueil favorable. Et les conditions de cet accueil pourraient être le refus des diagnostics d’impuissance, l’ouverture aux voies de guérisons intuitives, la confiance en nos capacités de guérison spirituelle. Cette démarche n’a pas seulement un intérêt individuel mais aussi collectif. Croire dans les forces de guérison, c’est leur donner du pouvoir pour soi et pour les autres.
Happinez : Avez-vous été témoin de faits que la religion qualifierait de miracles ? Si, oui, pouvez-vous nous en raconter un ?
Antoine Sénanque : Je crois aux miracles. Je suis catholique, non pratiquant et peu concerné par les sujets touchant l’Église et les dogmes. Mais je crois profondément aux miracles.
En médecine, le sujet est encore délicat, on ne franchit pas la frontière sémantique de “guérison inexpliquée” et le mot “miracle” ferme toutes les oreilles. La médecine actuelle reste très imprégnée du scientisme et du scepticisme du 19ème siècle. Pour le professeur Charcot, les miracles de Lourdes n’étaient que des manifestations d’hystérie collective. Dans les sanctuaires, les pèlerinages, les assemblées de prières, de puissants mécanismes d’autoguérison peuvent se mettre en route. La science pourra-t-elle un jour les expliquer et retirer leur dimension religieuse ? Pourquoi pas, mais au fond peu importe.
La seule maladie de Parkinson que j’ai vu guérir est celle d’une sœur, Marie Simon Pierre, une religieuse française qui, peu après le décès de Jean Paul II et, selon l’église catholique, grâce à son intercession, a vu sa maladie disparaître brusquement. Le 5 juin 2005, sa supérieure lui demande d’écrire sur une feuille de papier le nom du pape pour une intention de prière. Elle essaie, mais écrire lui est quasi impossible. Elle griffonne ce qu’elle peut et confie qu’elle se sent désespérée de ne pas même « être capable de ça ». La nuit suivante, la sœur « se lève d’un bond » et ressent un irrépressible besoin d’écrire. Elle prend un stylo, une feuille, l’écriture est redevenue normale. Quelques jours plus tard, on la conduit à sa consultation de neurologie. En la voyant marcher devant lui, le spécialiste lui demande si elle a doublé les doses de son traitement. Elle répond : « je l’ai arrêté ». Aux experts qui l’interrogent sur la nuit du miracle, elle répond simplement : « Je vivais quelque chose ». Je pense souvent à cette phrase. Elle recèle peut-être une clé de guérison. Trouver de la vie à vivre dans la mort du corps, trouver la vie que la mort ne touche pas.
J’ai connu, indirectement, une guérison inexpliquée en neurologie. À l’âge de 34 ans, ce patient a un accident de roller, avec un grave traumatisme crânien. Un hématome qui comprime son cerveau est détecté au scanner et il est opéré en urgence, en état de coma profond. Le pronostic est sombre, une partie du cerveau écrasé comprime le tronc cérébral, centre de commande des fonctions vitales. L’hématome est évacué, le patient reste dans le coma. Douze jours plus tard, alors que son état reste identique, des membres de sa famille et des amis se réunissent pour une prière collective. Différentes religions sont représentées, chrétienne, juive, islamique. Chacun prie selon sa croyance ou donne des témoignages d’amitié ou d’amour. Le patient se réveille alors. Sa mort imminente avait été annoncée. La courbe de sortie d’un coma suit le plus souvent une pente ascendante progressive. On sort doucement d’un coma profond en remontant stade après stade jusqu’à l’état de conscience. L’étude de la courbe du patient révéla une pente à angle droit, transition inhabituellement rapide entre l’état de coma et de conscience, sans étapes intermédiaires. L’angle coïncidait exactement avec la date de la soirée de prière collective. Hasard ? Peut-être. La guérison fut totale et sans séquelles, mais également productive spirituellement, puisque la vie du patient changea radicalement, consacrée désormais au partage de son expérience et à une refondation affective profonde.
Paradoxalement les opposants les plus acharnés aux miracles, leur ont toujours reproché de ne pas être assez spectaculaires. « Les jambes ne repoussent pas à Lourdes »… Pourtant, l’histoire ancienne des miracles est riche en guérisons impossibles : des résurrections, des reconstitutions de membres amputés… Mais plus aujourd’hui. Pourquoi ? Peut-être parce que la spiritualité collective, à l’œuvre dans ces moments où la guérison impossible devient possible, n’a plus la même intensité. Une explication pourrait être que nos croyances ont un effet créateur sur les phénomènes. On croyait jadis aux résurrections miraculeuses et les résurrections se produisaient. Le pouvoir des miracles et plus communément de l’autoguérison dépendrait donc de notre confiance et de la puissance que notre espérance leur communique. À cet égard, la science n’a pas seulement désenchanté la vision que nous avons du monde, mais aussi les phénomènes qui y naissent. La puissance de notre espérance est en lien direct avec le nombre de ceux qui espèrent. Peut-on guérir de tout ? Oui, ensemble.
Propos recueillis par Aubry François
Portrait © Astrid di Crollalanza
Pour assister à l’événement SE GUÉRIR, au Grand Rex de Paris : www.//seguerir.fr