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Nous sommes ici pour tâtonner, explorer et apprendre… Entretien avec Brené Brown

Catégorie(s) : Art de vivre, À la une, À découvrir, Rencontres, Psychologie, Développement personnel, Bien-être

Brené Brown se décrit elle-même comme une “capteuse d’histoires”, mais elle ose aussi partager ses propres combats. Happinez a parlé avec elle de reliance, de honte et du courage qu’il y a parfois à être seul à faire face. « La honte ne va pas de pair avec l’ouverture aux autres. »
Extrait de Happinez 48 – liberté

Sa conférence TED sur le courage de l’imperfection, qu’elle s’apprêtait, soit dit en passant, à faire effacer, est l’une des plus regardées de tous les temps. Dans le cadre de son travail de chercheuse sociologue, Brené Brown décrypte des sentiments profondément humains tels que la honte, la vulnérabilité et le désir d’appartenance en mêlant les histoires d’autres personnes à la sienne, ce qui fait d’elle l’une des figures les plus appréciées de notre époque dans son domaine. Je lui demande si son travail, en plus d’une façon de rendre le monde meilleur, est aussi une méthode pour analyser sa propre vie et sa personnalité. « J’étudie des sujets qui éveillent ma curiosité, dit-elle avec un accent texan, certainement inconsciemment à partir d’un certain blocage. Je les choisis parce que je ne peux pas faire autrement. Mais mes découvertes sont, hélas, rarement celles que j’espère, et je dois donc me prendre en main [elle rit]. Le résultat me pousse à questionner ma vie et à apporter des changements. »

Happinez : N’est-il pas vrai que, bien souvent, les auteurs transmettent justement le thème qui leur a donné le plus de fil à retordre ?
Brené Brown : Vous avez peut-être raison. Ce qui est bénéfique, quand je dois moi-même me débattre avec l’un de ces thèmes, c’est que je peux dire honnêtement à mes lecteurs s’il est possible de changer véritablement quelque chose. Je ne peux enseigner que ce que j’ai moi-même appris. Si je n’avais pas parcouru moi-même le chemin, je n’aurais pas vu les panneaux indicateurs. Les maîtres à penser les plus dangereux que j’ai connus sont ceux qui ne font pas le travail eux-mêmes, qui en restent à la théorie dans leur propre vie. C’est à partir de ma propre expérience que j’explique qu’il est difficile d’agir chaque jour, chaque fois en fonction des leçons apprises. Ce ne sera probablement jamais parfait. C’est le processus de toute une vie.
Qu’est-ce que la réflexion sur notre propre vie peut nous apporter ? Platon a dit : « Une vie qui n’est pas examinée ne vaut pas la peine d’être vécue. » Je ne sais pas si je veux aller si loin, mais je crois que nous sommes ici pour tâtonner, explorer et apprendre. Être curieux de qui nous sommes, de ce qui nous motive, de ce dont nous avons peur, nous y aide. J’ai étudié la sociologie pendant quatorze ans, mais d’une certaine façon, tout le monde peut être un chercheur dans sa propre vie. Pour cela, il faut être prêts à buter sur nos imperfections. Quand les gens disent : « J’ai terminé, j’y suis, il n’y a que ce que vous voyez », cela me chagrine énormément.

Comment avez-vous découvert la recherche sociologique ?
J’ai un peu vagabondé ici et là avant de devenir finalement chercheuse. Pendant des années, j’ai commencé puis abandonné les cursus d’études les uns après les autres, et j’ai fait du stop en Europe. Ce n’est qu’à l’âge de vingt-sept ans que je me suis mise à étudier les sciences sociales à l’université du Texas. Je suis tombée amoureuse des recherches qualitatives, totalement différentes des recherches quantitatives. Les données n’y sont pas issues de questionnaires ou d’enquêtes, mais d’interviews personnelles. Il s’est avéré que j’adorais ça. Je suis vraisemblablement une sorte de “collectionneuse d’histoires”. Au cours de ces dix dernières années, j’en ai recueilli plus de dix mille, à partir de discussions de groupe et d’entretiens de recherche.

Et que faites-vous ensuite de ces données ?
Lorsque j’ai terminé mes interviews, je passe en mode analytique. À ce moment-là, mon époux préfère quitter la ville avec les enfants, car il dit que j’ai l’air bizarre quand j’arpente la maison en marmonnant, un stylo derrière l’oreille et un bloc-notes dans les mains. C’est un processus que j’adore. J’analyse les récits selon leurs thèmes et leurs schémas, qui m’aident à comprendre le phénomène qui est en jeu et à le théoriser. Dans mon cas, il est souvent question de honte et de peur.

Pourtant, il a fallu du temps pour que vous réalisiez que vous étiez vous-même profondément aux prises avec la honte et la peur…
Aussi étrange que ça puisse paraître, il m’a fallu très longtemps. Quand je fais des recherches, je me concentre entièrement sur la description de ce que j’ai entendu dans les histoires. Je ne réfléchis pas à ce qu’il en est dans mon propre cas. J’aime faire des investigations, mais pendant longtemps, je ne l’ai pas fait dans ma vie personnelle. Je préférais nier à quel point j’étais en proie à la honte. Tout a changé en 2006, alors que j’avais fait une liste de deux colonnes de ce qui aide et n’aide pas à mener une vie inspirée. Au-dessus de l’une de ces colonnes, il y avait “oui” et au-dessus de l’autre “non”. Sous le “oui”, il y avait des notions telles que l’amour-propre, le jeu, le repos, la confi ance, l’authenticité. Sous le “non” se trouvaient des notions comme le perfectionnisme, le refoulement des émotions, la comparaison avec les autres. Quand j’ai examiné les colonnes avec un peu de recul, j’ai sursauté. J’ai été obligée de m’asseoir : je vivais entièrement et complètement selon cette fichue colonne de “non”.

Retrouvez l’interview intégrale dans Happinez 48 – liberté