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Suivez l’appel transformateur de l’océan avec Pierre-Yves Touzot

Catégorie(s) : Art de vivre, Philosophie, Sagesse & spiritualité, Livres, Développement personnel, Bien-être

En répondant de tout temps à l’appel du grand large, l’humanité s’est ouverte au monde et à l’autre. Nous avons traversé les océans, développé entre les différents continents des alliances propices à la croissance mondiale. Sur les flots voguent des marchandises et des Hommes. Parmi eux nous pouvons compter Gwen, le héros du roman initiatique de Pierre-Yves Touzot, Comme un albatros, réédité cette année aux Éditions du Caillou. Ce jeune marin participe à sa première course navale autour du monde. Fort de son appétence pour le dépassement de soi, seul, il va progressivement laisser de côté son approche compétitive de l’épreuve au profit d’un éveil progressif à sa sensibilité, à la nature océanique, et à l’instant présent. Son parcours va le mener vers des paysages intérieurs qui lui étaient alors inconnus et lui permettre de lever le voile sur les conséquences dramatiques d’un consumérisme démesuré. Accueillir avec douceur ce qui se présente à nous au lieu de prendre la mer dans la lutte, épouser la vague plutôt que combattre l’océan, telle est l’invitation que nous propose ce voyage, des prises de conscience à intégrer au cœur de notre quotidien.

Happinez : Comme votre héros, nous sommes nombreux à avoir vécu une période d’isolement ces derniers temps. Selon vous, en quoi la solitude invite-t-elle à se poser les “bonnes” questions ?

Pierre-Yves Touzot : La solitude a de nombreux effets bénéfiques qui amènent forcément, si ce n’est à se poser les “bonnes” questions, au moins à se poser des questions. Être seul permet de se découvrir, d’apprendre à vivre avec soi-même. J’ai voyagé en solo pendant six mois. Ne pas avoir à partager mes émotions en permanence avec autrui a rapidement libéré mon instinct, ce qui m’a appris à mieux l’écouter, à lui faire confiance. Une fois libérés de ces influences extérieures, nous sommes amenés à voir les choses différemment, donc à nous poser de nouvelles questions, qui bien souvent se révèlent être les bonnes questions. Passer du temps seul est une expérience constructive, à l’autre bout du monde comme dans notre jardin. Gwen, le héros de mon roman, va être confronté au cours de son très long séjour sur l’eau à des situations inattendues, qui vont se traduire par des remises en question, parfois douloureuses, parfois jubilatoires, auxquelles il va faire face seul, débarrassé en grande partie de l’influence du monde extérieur. Un voyage intérieur autant qu’extérieur qui va bouleverser son regard sur lui-même, et sur le monde.

Nous grandissons dans une société qui tend à promouvoir l’apparence au détriment de l’intériorité. Faut-il risquer de décevoir les autres pour se réaliser soi ?

Je ne pense pas qu’il faille le voir comme une source de déception pour les autres, mais plutôt comme une source potentielle d’éloignement. Se libérer de ses propres chaînes, changer de regard sur la vie, de voie, prendre des virages radicaux, tout cela peut entraîner une forme d’incompréhension, voire parfois de jalousie. Essayer de voir le monde à travers notre propre regard en s’affranchissant de l’influence de notre éducation, de notre culture et d’une manière plus générale du poids de la société est un long voyage, libératoire, parfois douloureux et nécessairement solitaire par moment. Et comme chacun suit son propre chemin, cela peut exacerber des divergences de point de vue, qui peuvent éloigner les uns et les autres. Mais si la réalisation de soi exige de passer par une forme ou une autre de déception, d’incompréhension ou même de rejet de la part de son entourage, je pense qu’il faut prendre le risque. Comme mon personnage le fait dans le roman. Durant son voyage, il va jusqu’à trahir sa parole et couper momentanément les liens avec ses proches pour permettre à la mue de s’opérer.

Les aléas météorologiques jouent un rôle crucial dans la course de votre héros. Jusqu’à quel point le hasard influence-t-il d’après vous le cours de notre existence ? 

Le joueur de poker amateur que je suis ne peut que reconnaître qu’il y a des soirées plus faciles et d’autres plus difficiles. Mais sur la durée, les choses s’équilibrent, et le meilleur gagne plus régulièrement que les autres. Le hasard influence forcément nos vies, mais je me plais à croire que nous pouvons aussi influencer le hasard. Ce facteur de réussite inconstant et imprévisible que l’on peut appeler chance, ou malchance, se provoque, se cultive, s’appelle ou se repousse. Dans le monde de la course à la voile, les concurrents proches les uns des autres bénéficient des mêmes systèmes météorologiques, ce qui les met sur un pied d’égalité. En revanche, ceux moins performants qui se sont laissés décrocher bataillent dans d’autres conditions de navigation, ce qui crée une forme d’injustice sportive. Mais malgré ce nivellement par le talent et les qualités techniques intrinsèques du voilier, personne n’est à l’abri d’une collision avec un OFNI, ces objets flottants non identifiés qui peuvent mettre fin à une course en une fraction de seconde. Difficile donc de ne pas croire au hasard, même si certains lui préfèreront le mot destin. Pour gagner ce genre de compétition, ou bien figurer au classement final, il faut forcément un brin de réussite, car, c’est une évidence, il est plus facile d’avancer sur mer comme dans la vie avec le vent dans le dos qu’avec le vent dans le nez. Comme nous n’avons que peu d’influence sur le sens dans lequel il va souffler, il faut surtout savoir s’adapter, face à l’adversité comme face à la facilité.

Votre ouvrage présente la transformation d’un jeune homme. Pensez-vous qu’il soit nécessaire de se tromper pour grandir ?

Je n’aime pas l’idée qu’il faille nécessairement se tromper pour grandir, mais je me sens obligé, par expérience, de reconnaître que les erreurs aident à avancer. À condition bien sûr de les assumer, de les analyser et d’accepter de se remettre réellement en question. L’échec accélère le processus, mais je crois qu’il y a d’autres manières de grandir, ne serait-ce que l’envie sincère de progresser, d’évoluer, de s’améliorer. Au départ de la course, Gwen ne se trompait pas, il ne savait pas encore réellement qui il était. Enfermé comme beaucoup d’entre nous dans un chemin de vie qu’il n’avait que partiellement choisi, il n’avait pas trouvé son propre essentiel. Cette longue épreuve en solitaire dans la difficulté, au bout du monde, va opérer comme un catalyseur, en lui permettant à la fois de se rencontrer et de se connecter plus intimement avec la Nature. Un chemin que nous devons tous urgemment emprunter si nous voulons assurer notre survie et grandir en tant qu’espèce.

Le mental est-il plutôt un frein ou un allié ?

Il peut être les deux, avec, sans doute, dans un cas comme dans l’autre, autant de puissance de nuisance que de bienfaisance. Je pense qu’il faut à la fois utiliser le mental, à bon escient, avec parcimonie, et être capable d’en faire abstraction, pour laisser s’exprimer l’instinct. Les marins embarqués pour de longues courses autour du monde ne tiendraient pas le choc psychologiquement et physiquement s’ils ne comptaient que sur leur mental. Très vite, ils s’épuiseraient. Il est nécessaire pour eux de s’abandonner à leur instinct, pour tenir sur la durée, supporter la solitude, l’isolement, et la tension nerveuse inhérente à la compétition. Et profiter pleinement de l’expérience. Durant son tour du monde, Gwen apprend à faire taire sa voix intérieure qui lui criait de tout faire (et de tout sacrifier) pour gagner. Il parvient alors à s’abandonner au moment présent, à savourer pleinement sa présence dans l’ici et maintenant, seul sur son voilier au milieu de l’océan.

Qu’est-ce que la liberté ?

Pour moi, la liberté, dans le sens intériorisé du terme, c’est apprendre à se connaître soi-même suffisamment pour vivre en harmonie avec ce que l’on est véritablement, tout en trouvant un équilibre avec le monde qui nous entoure, avec les individus qui croisent notre route comme avec notre environnement au sens large. Être libre, c’est parvenir à se débarrasser de ses propres peurs pour exister plus sereinement, être capable d’accepter l’évolution et le changement lorsqu’ils se présentent, de penser par soi-même, libéré de l’influence du monde extérieur. Comme un Albatros pourrait se résumer comme l’histoire d’un jeune homme qui acquiert au prix fort sa véritable liberté, un prix fort qu’il continuera à payer une fois de retour à la civilisation durant une inexorable phase de réadaptation à la vie dite “normale”. Une période sans doute compliquée qu’il traversera d’autant plus sereinement qu’il sera dorénavant plus sûr de son identité, et de la direction globale qu’il entend donner à son chemin personnel.

Comme un albatros donne à lire une certaine inquiétude face à la catastrophe écologique visible au sein de la sphère océanique. Que pouvons-nous mettre en place dans notre quotidien pour agir ?

Vaste sujet ! Il y a tellement de choses que nous pouvons mettre en œuvre chacun à notre niveau ! La seule attitude à éviter en face de cette catastrophe écologique en cours est le déni, qui mène à l’inaction. Tout ce que nous entreprenons, chacun à notre niveau, les petites résolutions comme les grosses révolutions, contribue à résoudre notre problème collectif. Et cet activisme est une manière concrète de lutter contre l’éco-anxiété, cette peur croissante de l’avenir due à la manière dont nous participons activement à la sixième extinction en cours du monde animal, et à la destruction de notre environnement.

Pour répondre concrètement à votre question, voici quelques exemples de ce que chacun d’entre nous peut facilement entreprendre pour soulager les océans d’une pression humaine toujours plus destructrice :

  • Utiliser le moins possible les matières plastiques qui, sous une forme ou une autre, finiront toutes dans les océans.
  • Refuser de consommer des produits alimentaires ou manufacturés qui doivent faire un demi-tour du monde en porte-container pour arriver chez nous.
  • Prendre son vélo ou au pire les transports en commun plutôt que sa voiture pour ne pas inciter les compagnies pétrolières à surexploiter les océans en particulier pour nous fournir de l’essence.
  • Ne pas manger trop souvent du poisson, et vérifier scrupuleusement qu’il ne vient pas de l’autre bout du monde, et qu’il n’appartient pas à une espèce en voie d’extinction.
  • Plus globalement, accepter l’idée qu’une croissance infinie dans un monde fini est une hérésie, et qu’il est urgent de changer de paradigme.

Et j’invite ceux qui sont concernés par la sauvegarde de nos océans à découvrir les écrits de Paul Watson, et à soutenir les activités de son association Sea Sheperd, seule (et fragile) force d’intervention concrète dans cette zone de non-droit que sont les eaux internationales.

 

Propos recueillis par Lara Turiaf

 Photographie : Geran de Klerk / Unsplash