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Un guérisseur, humaniste et militant au service de la Nature

Catégorie(s) : Bien-être, Art de vivre, Nature, Rencontres, Sagesse & spiritualité, Livres, Développement personnel

Iwan Asnawi a grandi au beau milieu de la jungle indonésienne avant de voir ce paradis naturel subir les affres de la politique du pays. Son livre, L’esprit de la jungle (PUF, août 2019) relate son histoire et, plus globalement, le destin du peuple indonésien, entre traditions, bouleversements et spiritualité. Le guérisseur, humaniste et militant a accepté de nous le présenter dans cette interview exclusive.

Happinez : Dans quelle mesure votre enfance en Indonésie a-t-elle nourri en vous un sentiment d’unité presque spirituelle avec la nature ?

Iwan Asnawi : Aussi loin que je m’en souvienne, j’ai grandi très heureux avec mes grands-parents qui me traitaient comme un jeune prince ! Environ 200 à 300 agriculteurs travaillaient sur leurs terres, dans le plus grand respect des deux côtés. Mes grands-parents étaient connus pour leurs dons de guérison. Dans notre culture, la spiritualité n’est pas séparée de la nature. Au contraire, c’est à son contact que vos potentialités dites « spirituelles » s’expriment. Dans ma famille, nous croyions que chaque arbre a une âme. C’est dans les arbres de la jungle que j’ai grandi, et que je me suis senti, en effet, en unité. Mais pas qu’avec les arbres, avec l’ensemble des vivants, y compris des animaux qui effrayaient ma mère, comme les crocodiles de la rivière dans laquelle je me baignais !

 

Happinez : Le régime militaire qui s’est installé au pouvoir en Indonésie dans les années 60 a eu une action aux conséquences désastreuses pour la forêt. Que reste-t-il aujourd’hui de ces espaces naturels ? Quelle(s) solution(s) l’État indonésien propose-t-il pour inverser la situation ?

Iwan Asnawi : Le régime militaire du Général Suharto a initié un projet catastrophique pour le pays à partir d’une politique de transmigration, afin de faire se déplacer les populations entre les îles. L’idée était de bénéficier d’une main-d’œuvre sur place pour couper des arbres. Des pans entiers de forêts ont été détruits, des rivières polluées et asséchées pour des plantations d’huile de palme. La monoculture a tué la biodiversité. Du sud à l’ouest de Sumatra, il ne reste plus que les parcs nationaux Kerinci Seblat et Tembilang, qui sont encore menacés. La solution est d’empêcher la déforestation en faisant appliquer la loi qu’usurpent les industries criminelles. C’est ce contre quoi lutte le Président Jokowidodo, en encourageant également les petits agriculteurs à conserver leurs terres.

 

Happinez : De quelle(s) façon(s) pouvons-nous agir à notre échelle individuelle, depuis la France, pour contrebalancer cette déforestation et accompagner au contraire un mouvement de reforestation ?

Iwan Asnawi :  Au niveau individuel, en tant que consommateur, on a un pouvoir d’action. Je pense qu’il ne faut pas hésiter à s’en servir. Pour aider à lutter contre la déforestation dans mon pays, il est important de ne pas consommer des produits contenant de l’huile de palme : des produits alimentaires comme le Nutella, mais également tous produits cosmétiques contenant une telle substance. Parallèlement, soutenir des modèles d’économie qui ne massacrent plus nos forêts est important, tout comme le soutien aux agriculteurs locaux qui ont des projets individuels de replantation.

 

Happinez : Comment êtes-vous passé du métier d’avocat à celui de guérisseur ?

Iwan Asnawi : Quand je suis arrivé en Suisse, j’étais avocat, mais le diplôme n’est pas le même d’un pays à l’autre et j’aurais dû reprendre mes études pour avoir des équivalences. À l’Université de Berne, ils ont accepté de m’accorder seulement trois semestres d’équivalence, ce qui signifie que j’aurais dû étudier encore trois ans, plus deux ans de stages. Or, à 29 ans, je n’en n’avais aucune envie, et ce d’autant plus que je venais de me marier et allait fonder une famille. De plus, j’avais depuis longtemps déjà reçu des signes que j’étais guérisseur, et je sentais que le moment était venu pour moi de m’y consacrer pleinement. Quand j’avais seulement quatre ans, ma grand-mère m’a demandé une fois de passer ma main droite sur le haut de sa tête, côté gauche. C’est ainsi que j’ai commencé tout petit, puis au contact de la nature dans laquelle je vivais en immersion, à développer mes dons, même si je n’y croyais pas. Quel que soit mon métier, journaliste, écrivain, activiste ou avocat, je sais maintenant que je serai toujours guérisseur, c’est ainsi, c’est mon destin.

 

Happinez : Pourriez-vous décrire la manière dont vous guérissez ? Avez-vous une technique ? Un savoir-faire hérité d’une tradition ?

Iwan Asnawi :  Il m’est très difficile pour ne pas dire impossible de répondre à cette question. C’est un mystère que l’on acquière par la nature qui nous choisit. Beaucoup de choses restent encore énigmatiques pour moi, même si d’autres, comme l’utilisation des plantes, m’ont été enseignées par ma grand-mère. Comme je l’explique dans mon livre, ma méthode pour me connecter à l’Univers est très personnelle et je risquerais d’apporter davantage de confusion en vous l’exposant en quelques lignes. Pire, je n’ai pas envie d’être pris pour un charlatan ou un fou, comme je sais que cela peut arriver si on extrait du contexte ce que je relate, et ce qui est loin d’être le cas ici. Je comprends et je respecte les cultures qui ne sont pas les miennes. Mais comme je ne veux pas être mal compris, je préfère, comme dans les traditions orales dont je suis issu, garder mon savoir et l’utiliser en pratique. J’ai promis à mes ancêtres que j’aiderai les gens avec mon don, et c’est ce que je veux par-dessus tout continuer à faire.

 

Propos recueillis par Aubry François

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